Le Jardin - podcast littéraire

La force militante, amplifier la voix des opprimées : rencontre avec Antonia CRANE, autrice, activiste, danseuse, travailleuse du sexe - interview bilingue FR-ENG

November 03, 2022 François-Xavier ROBERT Season 2 Episode 23
Le Jardin - podcast littéraire
La force militante, amplifier la voix des opprimées : rencontre avec Antonia CRANE, autrice, activiste, danseuse, travailleuse du sexe - interview bilingue FR-ENG
Show Notes Transcript

“J'ai toujours été une manifestante, et j'ai toujours su que ça marchait. Et vous ne pourrez jamais vraiment me convaincre de dire le contraire, je suis désolée.”

Antonia CRANE est une autrice pas comme les autres. Activiste, danseuse, chanteuse, coach littéraire, elle revendique également le statut de travailleuse du sexe. Non pas dans un seul but de fierté ou d’affirmation de soi, mais dans une dimension de lutte pour l’obtention de droits sociaux vitaux pour tout un ensemble de femmes et d’hommes oubliés trop souvent dans les luttes syndicales car ils ne rentrent dans aucune case.
En écrivant ses mémoires et en publiant le livre “Consumée”, en français aux éditions Tusitala, elle fait un acte de plus dans son combat pour le droit des femmes.
Et elle écrit aussi un livre passionnant !
J’ai rencontré Antonia CRANE lors du Festival America de Vincennes. 

Découvrez son travail d’autrice et son combat pour les droits des femmes.

Un version originale 100% en anglais est disponible à la fin de la version doublée pour l’écouter, rendez-vous directement à la 33e minute.
The original version of this interview, a fully english one, is available, go directly to 33’.

EXTRAITS

“Je vois mes mémoires comme une tentative, un essai pour livrer la vérité de nos vies, de ma vie. C'est donc ce que sont ces mémoires : une tentative.”

“L'écriture, j'ai besoin qu'elle soit là chaque jour, j’ai besoin de « tomber dans les bras » de l'écriture, même si c'est à l'heure du coucher.”

“Un mariage, c'est tomber amoureux tous les jours. Écrire, c'est aussi tomber amoureux tous les jours.”

“Je pense que les danseurs traversent le monde différemment, et j'appelle cela une sorte d'intelligence spatiale. Non pas que je sois meilleure que quiconque, mais c’est simplement que je pense comme une danseuse.”

"Ne gaspillez pas le temps des autres. Racontez l'histoire comme si vous étiez sur votre lit de mort. Dévoilez le secret. Ne gaspillez le temps de personne ». Et vous avez la permission ! Donnez-vous la permission de le faire mal, et vous pourrez revenir en arrière plus tard."

“Poster quelque chose sur Instagram, je pense que c'est créatif et important, mais c'est tout autre chose d'être dans les rues et de prendre des risques et de mettre son corps en jeu.”

CITATIONS
“Avant l'illumination ; couper du bois, porter de l'eau. Après l'illumination ; couper du bois, porter de l'eau.”
Une phrase issue du bouddhisme zen, un kōan, qui souligne la nécessité de s'engager et de s'épanouir au cours du processus dans toute quête.

"Demeure le moins possible assis : ne prêter aucune foi à aucune pensée qui n'ait été grand air, dans le libre mouvement du corps, à aucune idée où les muscles n'aient été aussi de la fête."
Friedrich Nietzsche

C'est le vingt-troisième épisode du podcast littéraire LE JARDIN.
Si vous l'avez aimé, partagez ce podcast avec vos amis, laissez un commentaire (ou une note) svp. 
Rendez-vous pour le prochain épisode !

À LA TECHNIQUE
Conception et interview : François-Xavier ROBERT
Doublage voix française : Meropi MORFOULI
Musique d’intro : chants d’oiseaux et morceau “Roboto” mixé par Julien Haurant
Extrait d’intro : Plastic flowers par Electronic-Senses, from Pixabay
Court extrait musical : “Les Gens qui doutent”, une chanson d'Anne Sylvestre parue en 1977 dans l'album “Comment je m'appelle” (

Contact

  • Envoyez un e-mail à : fxrparis@gmail.com
  • Page Facebook : https://www.facebook.com/LeJardinPodcast

Merci d'écouter le podcast littéraire Le Jardin !

 Entretien avec l'autrice américaine Antonia CRANE

TRADUCTION en français


[00:00:07.960] - François-Xavier ROBERT

Je suis très heureux de vous accueillir dans ce podcast. Nous sommes à Vincennes pour le festival America.

Je vais vous présenter très brièvement à nos auditeurs.


[00:00:21.850] - Antonia CRANE

C’est fantastique !


[00:00:23.010] - François-Xavier ROBERT

Vous êtes écrivaine, vous êtes danseuse, vous êtes coach littéraire, vous êtes stripteaseuse, vous êtes travailleuse du sexe. J'insiste sur ce rôle parce que je sais que ce mot "travailleuse du sexe" est important pour vous. C'est important parce que vous voulez qu'il soit reconnu, entendu, écrit. 

Alors oui, je vais le dire plusieurs fois au cours de cette interview.


[00:00:45.130] - Antonia CRANE

J'apprécie cela, merci.


[00:00:47.140] - François-Xavier ROBERT

Et nous nous rencontrons parce que, bien sûr, vous avez écrit un livre, un mémoire. Et c'est intéressant aussi, parce que ce n'est pas une autobiographie, c'est un mémoire qui met plus en avant les sentiments, qui se focalise plus sur la première partie de votre vie et qui insiste sur vos émotions, et un mémoire qui vous permet de transmettre un message à vos lecteurs.


[00:01:06.820] - Antonia CRANE

C'est intéressant. Vous faites la distinction entre autobiographie et mémoires. Je pense qu'en Amérique, on considère que c'est la même chose. Dans la biographie, quand j'y réfléchis, j’imagine quelqu'un qui écrit sur une autre personne. Mais lorsque nous écrivons nous-même sur notre propre vie, je pense aussi qu'il est quasi impossible d'écrire vraiment ses mémoires, parce que nos vies changent constamment et que notre perspective change toujours. 

Alors quand j'enseigne sur l’écriture des mémoires (j'ai enseigné à UCLA dans le programme d'écriture pendant sept ans et demi, et maintenant je suis dans un programme de doctorat en écriture. Mais j'ai donné des cours pendant longtemps, notamment à des adolescentes incarcérées et à des jeunes en difficultés), et je leur dis toujours qu'il est impossible d'écrire des mémoires parce qu’aujourd’hui, vous êtes différent de ce que vous étiez hier, vous êtes différent de ce que vous étiez il y a cinq ans, et vous serez différent dans deux ans. Comment vous représentez-vous quelque chose qui s'est passé il y a sept ans dans votre vie ? Donc c'est en quelque sorte impossible. 

Mais devinez quoi ? Les gens font des choses impossibles tous les jours. Alors on va juste essayer. Nous allons faire quelque chose d'impossible. Alors on va juste essayer. Le mot "essai" signifie bien "essayer", "tenter".

Je vois donc mes mémoires comme une tentative, un essai pour livrer la vérité de nos vies, de ma vie. C'est donc ce que sont mes mémoires : une tentative.


[00:02:23.830] - François-Xavier ROBERT

Alors peut-être pourriez-vous écrire plusieurs mémoires différents, avec des angles différents.


[00:02:31.090] - Antonia CRANE

Oui, mon livre "Spent" était une capsule temporelle spécifique. J'aurais pu écrire cinq autres mémoires sur des périodes totalement différentes de ma vie, car je suis plus âgée que j'en ai l'air. Donc j'ai vécu plusieurs vies.


[00:02:46.290] - François-Xavier ROBERT

Une chose que vous avez dite hier, parce que j'ai assisté à l'un de vos débats ici pendant le festival, c’est qu'il n'y a rien de facile dans l'écriture. Votre formule m’a intéressé. Qu'est-ce qui est si difficile dans l’art d’écrire ?


[00:03:00.490] - Antonia CRANE

Oui, vous savez : travailler, c’est difficile ; courir, c’est difficile ; aller à la gym, c’est difficile ; tout ce qui vaut la peine d’être vécu est difficile ; toute forme d'art est difficile. 

Et je pense que, quand j'écris, j'ai besoin de sentir que c'est quelque chose « à ma portée ». Je suis une autrice qui « coupe du bois et porte de l'eau ». Ça veut dire qu'en me brossant les dents, j'écris. J’écris comme je coupe du bois, je transporte de l'eau, je chauffe de l'eau, je fais du café, je me rase…J'écris pour pouvoir courir. J'écris pour pouvoir continuer ma journée. 

Et j'ai besoin que ce soit comme une chose quotidienne, même si ce n'est qu'un paragraphe, j'ai besoin que ce soit accessible, à ma portée, sinon ça devient très lourd. Comme lorsque vous ne passez pas un coup de fil que vous deviez passer : mais vous n'avez pas téléphoné, et un jour passe, puis une semaine, puis six mois, et bientôt le téléphone devient si lourd, aussi lourd qu'une voiture, si lourd que vous ne pouvez plus passer l'appel ! 

L'écriture, j'ai besoin qu'elle soit là chaque jour, j’ai besoin de « tomber dans les bras » de l'écriture, même si c'est à l'heure du coucher.

Et parfois, je réalise : "oh, je n'ai pas écrit". Alors, ok, je vais me jeter dans les bras de l'écriture et écrire quelques phrases.

Maintenant, pendant le festival, je vis un vrai marathon, donc je n'ai pas écrit, mais j'y pense. Je pense à l'écriture. Et je sais que je suis prête à écrire quelques phrases aujourd'hui, et je vais m'engager à le faire. Il faut s'engager à le faire tous les jours. Comme un mariage, un mariage c'est tomber amoureux tous les jours. Écrire, c'est aussi tomber amoureux tous les jours.


[00:04:43.510] - François-Xavier ROBERT

Quand vous écrivez, avez-vous besoin d'une routine ? Un endroit de prédilection pour écrire ? Autre chose ?


[00:04:50.310] - Antonia CRANE

Je suis très routinière.


[00:04:51.810] - François-Xavier ROBERT

Oui, je pense que c'est important pour une écrivaine.


[00:04:54.940] - Antonia CRANE

Je pense que certaines personnes, quand elles pensent à moi, se disent : "oh, tu as cette vie de dingue, tu as cette vie aventureuse". Mais en vérité, je suis une personne assez ennuyeuse et très routinière. 

J'ai un certain rituel et une certaine routine que j'aime vraiment et dont j'ai besoin, et cela implique de faire de l'exercice, de courir, de se connecter à la nature, de faire simplement des exercices pour bouger mes hanches. Je suis danseuse depuis 29 ans, donc mes muscles se raidissent, alors j'ai besoin de faire mes exercices, de faire bouger mon corps pour pouvoir penser et métaboliser ce à quoi je pense. 

Et puis j'ai besoin de courir. J'ai besoin de courir pour créer un espace pour m’aider à métaboliser les choses auxquelles je pense. 

Et peu importe si j'écoute un podcast sur l'écriture ou sur autre chose : la politique, la musique…Je suis toujours en train d’écrire dans ma tête. Je suis toujours en train de travailler sur la chose. Je travaille sur le problème, sans en être totalement consciente. Et cela fait partie de ma routine d'écriture.


[00:05:55.720] - François-Xavier ROBERT

J'aime cette routine parce que, vous savez, il y a un cliché français du 20ème siècle sur les grands écrivains : leur routine consiste juste à fumer des cigarettes et à boire du café ! C'est leur seul exercice.


[00:06:08.140] - Antonia CRANE

Oui, eh bien, je suis une danseuse !


[00:06:11.440] - François-Xavier ROBERT

Je pense que c'est intéressant parce qu'aujourd'hui beaucoup d'écrivains disent qu'ils ont besoin de marcher, ou qu'ils pensent mieux en marchant, mais vous, vous courez : vous allez encore plus vite !

Nietzsche : Demeure le moins possible assis : ne prêter aucune foi à aucune pensée qui n'ait été grand air, dans le libre mouvement du corps, à aucune idée où les muscles n'aient été aussi de la fête.


[00:06:22.500] - Antonia CRANE

La course à pied a commencé...

Je suis danseuse depuis l'âge de trois ans. Le ski alpin, trois ans aussi. Donc mon corps et le mouvement et la pensée et le fait d'être incarné et de rester dans mon corps et d'avoir besoin de bouger pour penser fait partie intégrante de mon éducation. Cela fait partie de ma vie. Je n'y peux rien. 

Alors je me sens très déprimée quand je ne cours pas pendant une journée.

Mais vous savez quoi ? C'est aussi bon pour mon écriture, cette sensation de déprime.

Parfois, c’est bon de faire une pause, de prendre un jour de congé ! Même si je déteste les jours de repos. Allez, c'est bon. Si je me sens un peu faible, je peux utiliser cet état dans mon écriture.


[00:07:03.640] - François-Xavier ROBERT

Cela ouvre vers une autre énergie.


[00:07:04.770] - Antonia CRANE

C'est une énergie différente, oui.

La nouveauté est vraiment importante pour un écrivain : comme par exemple, un léger changement dans sa routine et son stimulus visuel. Je pense que c'est vraiment important.

Mais nous parlions de la course à pied, j'ai commencé à courir en 2004. Depuis, je cours presque tous les jours. Et la raison pour laquelle j’ai commencé en 2004, c'est parce qu'on a diagnostiqué à ma mère un cancer très rare. Un cancer qui l’a frappée comme frappe la foudre. Un cancer très rare. Elle a été frappée par le cancer, elle a été en rémission deux ou trois fois. Ça partait, ça revenait. Ça disparaissait, ça revenait. J'étais tellement en colère, je me sentais tellement impuissante, je ne savais pas comment réagir, comment faire avec ces sentiments. 

Au même moment, j’étais employée de bureau, j’ai occupé ce travail de bureau pendant deux ans et demi. Et je ne faisais qu'écrire, écrire, écrire. Et c'est comme cela que je suis entrée dans mon programme de maîtrise, c'est grâce à ce travail de bureau. Je travaillais dans un cabinet d'avocats spécialisés dans l’industrie du divertissement, alors même que le procès de Michael Jackson pour pédophilie se déroulait dans le même bâtiment. 


[00:08:17.830] - François-Xavier ROBERT

Okay.

 


[00:08:18.370] - Antonia CRANE

Je travaillais donc dans ce célèbre cabinet d'avocats spécialisé dans l’industrie du divertissement. J'étais réceptionniste, j'écrivais de la fiction, et ma mère a eu un cancer. 

J'étais tellement en colère, j'étais tellement enragée !

Courir est la seule chose qui m'a aidée, parce que je me sentais prête à déraper. J’avais vraiment l'impression de ne plus rien contrôler. Je pense que cela correspond à ce que les gens ont ressenti pendant la pandémie. Avant, pendant et après la pandémie, des sentiments comme la rage, la perte, la séparation et l'isolement. J'ai couru tous les jours pendant la pandémie. Et ça aide. Ça aide à métaboliser la rage insondable, la perte insondable et le sentiment d'impuissance. Et ça m'aide aussi à le traiter et à être capable d'écrire. La course est donc très présente dans une partie de mes écrits.


[00:09:09.610] - François-Xavier ROBERT

Une chose importante à faire.


[00:09:11.910] - Antonia CRANE

Oui, une chose très importante. Un peu comme boire du café.


[00:09:14.440] - François-Xavier ROBERT

Vous venez de me dire que vous avez commencé à danser à l'âge de trois ans.


[00:09:23.140] - Antonia CRANE

Oui. J'ai commencé à danser à l'âge de trois ans.


[00:09:24.990] - François-Xavier ROBERT

Quand avez-vous commencé à écrire ?


[00:09:31.010] - Antonia CRANE

Quand est-ce que j’ai commencé à écrire ?

Je me souviens que j'ai fréquenté une école privée catholique pendant les sept premières années de ma vie. « Seven grades » comme on dit aux Etats-Unis, l’école primaire. Alors que j'étais en troisième année, et je pense que j'étais l'une des plus jeunes de ma classe. J'avais 8 ou 9 ans. Nous devions rédiger une liste de ce que nous voudrions devenir plus tard quand nous serions grands :

Mon numéro un était danseuse. Mon numéro deux était chanteuse. Mon numéro trois était écrivaine. 

Je n'arrivais pas à me décider. Finalement, j'ai été danseuse toute ma vie, chanteuse toute ma vie, et maintenant écrivaine. Écrire venait en troisième position. Je pense qu'une partie de moi, quand j'avais neuf ans, savait que ça semblait impossible et difficile. Et c'est effectivement impossible et difficile. 

Alors j'ai commencé à écrire des poèmes et à essayer... J'ai toujours tenu un journal intime. J'ai tellement de pages et de pages de mes journaux intimes. J’y écrivais juste des pensées, des couleurs, des noms que j'aimais : ce que j'appelle mes « lueurs ». Des choses qui ont une vibration, que vous remarquez, qui ont une résonance dans votre journée, dans votre conscience.

Et je crois aussi à ce que j’appelle « l'intelligence spatiale ». Un danseur, je pense, marche dans le monde différemment.

Un danseur, tout comme une personne asthmatique qui lutte avec son souffle, traverse le monde différemment. Ou une personne diabétique traverse le monde différemment. Ou les personnes dites « neurodivergentes » ou « neuroatypiques » traversent le monde différemment. Je pense que les danseurs traversent le monde différemment, et j'appelle cela une sorte d'intelligence spatiale. 

Non pas que je sois meilleure que quiconque, mais c’est simplement que je pense comme une danseuse.


[00:11:01.660] - François-Xavier ROBERT

Vous aviez accumulé beaucoup de matériel dans ces pages de journaux intimes. Lorsque vous avez décidé d'écrire votre livre, vos mémoires, de publier un livre, de le donner à lire à un large public, avez-vous cherché, puisé dans ce matériel ou êtes-vous partie de zéro pour écrire vos mémoires ?


[00:11:19.460] - Antonia CRANE

J'ai tout fait de travers. J'ai fait toutes les erreurs. Je n'ai jamais eu l'intention d'écrire un mémoire. J'étais en master de fiction, ce qui est génial : j’inventais des histoires. Mais toutes mes histoires venaient des années 90 : les drag queens, le strip-tease, le travail du sexe...

Et puis subitement le corps de ma mère s’est imposé. Je ne pouvais plus sortir le corps de ma mère de mon esprit. Il occupait toute la place dans la pièce. Chaque fois que je commençais à écrire une histoire, ma mère était présente. Ma mère voulait être dans l'espace. Elle était là, ma mère mourante, avec ses tubes qui servaient à la nourrir.

Alors j'ai dit à mon mentor : « peut-être que c'est un recueil, je ne sais pas. J’ai commencé à écrire de la fiction, mais, peut-être qu’au final, j’écris un recueil de nouvelles basées sur mon expérience. »

Et puis je me suis débarrassée de tout ça, j'ai jeté tout ça. 

Et puis j'ai commencé à écrire une histoire terrible, ce genre d’histoire que l'on écrit quand on pense simplement à des personnages. J'ai écrit aussi une histoire sur ma vie en Inde, l’Inde où j'ai vécu quand j’étais adolescente, et j'ai écrit cette histoire, qui est également une histoire vraie.

Mais le corps de ma mère, le strip-tease et le travail du sexe ont toujours voulu être là. Il m'a donc fallu deux ans et demi pour comprendre que oui, finalement, ce seraient mes mémoires !

Avec du recul, c’était juste un processus. Comme quelqu'un m'a dit, probablement l’un de mes professeurs, peut-être Richard Yates, l'auteur de « Revolutionary Road » (« La Fenêtre panoramique », en français), il m’a dit : 

« Tout le monde a en lui une ou deux histoires, et vous allez les raconter toute votre vie ». 

Et j'écris toujours sur le sujet de ma mère, et j'écris toujours sur la mort, et j'écris toujours sur le travail du sexe. Mais peut-être à chaque fois de manière différente et en triturant le réel. 

Mais comme l’a dit mon professeur : chaque écrivain possède deux histoires qu'il raconte toute sa vie.


[00:13:09.640] - François-Xavier ROBERT

Donc vous avez fait le premier pas, écrit vos premières mémoires. Je me disais, parce qu'hier je vous ai entendu dire que, je cite : « vous vous autorisiez à écrire de la merde » ! à ne pas avoir peur de mal faire, d’écrire des bêtises, des clichés... Et pour faire le tri dans tout cela, une chose importante, c'est que cela vous fasse pleurer. Donc vous tenez beaucoup à l'émotion, à ce que l’on ressent en lisant ?


[00:13:37.470] - Antonia CRANE

Oui. D’abord sur la première chose que vous avez dite : "s’autoriser à écrire de la merde". Ce que je voulais mettre en avant, c'est la « permission », le fait de s’autoriser à faire les choses. Et je pense que c'est important. Une chose que j'ai remarquée chez les nouveaux écrivains, c'est qu'ils doivent toujours commencer par « tuer l'écrivain » en eux. On pense qu'on doit être cette voix d'écrivain avec cette image parfaite, de l’écrivain idéal. On doit viser haut, non ? On est là-haut, tout est parfait, les phrases sont excellentes, l'écriture est parfaite : et c'est terriblement ennuyeux ! C'est de la merde. 

Je pense à Anne Frank, le début de son livre, c'est : "J'espère que tu seras mon ami. Je vais te dire un secret. S'il te plaît, écoute. S'il te plaît, écoute-moi. Je veux te dire un secret. S'il te plaît. J'espère que tu seras mon ami." Et le lecteur est juste là, à quelques centimètres, et elle nous fait ses confessions. 

Les meilleurs professeurs que j'ai eus m’ont toujours dit : « Ne gaspillez pas le temps des autres. Racontez l'histoire comme si vous étiez sur votre lit de mort. Dévoilez le secret. Ne gaspillez le temps de personne ». Et vous avez la permission ! Donnez-vous la permission de le faire mal, et vous pourrez revenir en arrière plus tard. Et donc pour moi, c'est juste ça : la « permission d'écrire de la merde ». C'est ce que je veux dire par là.


[00:14:53.360] - François-Xavier ROBERT

Un bref entracte. J'ai oublié de donner le titre de votre livre : "Spent". En anglais. Et pour la version française : "Consumée".

 


[00:15:04.290] - Antonia CRANE

Être mangée, manger, être consommée.

 


[00:15:07.210] - François-Xavier ROBERT

C’est ça !

 


[00:15:08.660] - Antonia CRANE

Être ravagée, brûlée.

[00:15:12.490] - François-Xavier ROBERT

C’est un beau titre. Court mais qui exprime beaucoup de nuances différentes.

 

[00:15:14.060] - Antonia CRANE

Oui merci. J’ai un magnifique traducteur. Michael !

 

[00:15:17.520] - François-Xavier ROBERT

Oui. Michael Belano.

 
[00:15:19.710] - Antonia CRANE

Oui. Et mon éditeur "Tusitala" : ils sont si merveilleux. On ne s'est jamais autant occupé de moi. N’hésitez pas à travailler avec des éditeurs indépendants. Ce sont de super moments !

 
[00:15:30.190] - François-Xavier ROBERT

Écoutez ce conseil ! J'ai lu quelque part que vous avez été comparée (ou peut-être vos livres l’ont-ils étés) à une "Simone de Beauvoir version X".


[00:15:42.580] - Antonia CRANE
J’adore !


[00:15:43.420] - François-Xavier ROBERT
Et à une "Marguerite Duras sous speed". 

Alors bien sûr, en tant que Français, j'étais genre, wow, pas mal. Simone de Beauvoir et Marguerite Duras. Ce sont deux femmes puissantes, deux icônes de la littérature du 20ème siècle.

Que pensez-vous de cela ?


[00:16:02.850] - Antonia CRANE

Je suis incroyablement flattée, bien sûr, d'être comparée à ces féministes incroyables et sensuelles... Je viens d'une longue lignée de féministes puissantes et féroces, et je suis vraiment flattée d'être comparée à elles. La sensualité, le féminisme intersectionnel : ce sont des choses qui signifient beaucoup pour moi. La critique littéraire féministe française a beaucoup d'importance pour moi. J'ai été nourrie à la cuillère, biberonnée par les écrits de : Marguerite Duras, Monique Wittig, Hélène Cixous, Jeanette Winterson, Sandra Cisneros, Alice Walker... et tant d’autres ! Et tant d'autres qui me sortent de l'esprit parce que j'essaie trop fort de m'en rappeler. 

Je suis en train de lire Virginie Despentes, et, on m'a dit que mon livre faisait penser à elle, et j'ai failli mourir sur place. J'étais tellement flattée. Mais, oui, je pense que nous devons revisiter nos textes féministes et en garder la trace. Et je suis vraiment flattée.


[00:17:05.660] - François-Xavier ROBERT

J'aimerais maintenant parler un peu de la partie " travail du sexe " de votre livre et de la création de votre syndicat. Pouvez-vous expliquer à nos auditeurs cette merveilleuse histoire ?


[00:17:21.940] - Antonia CRANE
C'est une histoire très importante. Vous voulez connaître le passé et le présent ou juste le passé ?


[00:17:27.940] - François-Xavier ROBERT
Le passé et le présent.


[00:17:29.130] - Antonia CRANE

D'accord. En 1996, j'ai commencé à travailler dans un peep show, un club de striptease où je finissais totalement nue, appelé « The Lusty Lady » à North Beach, à San Francisco. J'étais en voie d’abstinence. J'avais arrêté le speed (la méthamphétamine). Je devais de l'argent à tout le monde. Et j'avais besoin de me remettre à la danse. Mais je ne voulais pas retourner dans les clubs de lap dance où beaucoup de drogues circulent en permanence. Alors j'ai pensé que je devrais peut-être aller dans cet endroit, dans un environnement un peu plus privilégié. Un endroit, disons, de « classe moyenne » pour les travailleurs du sexe, parce que cela se passe derrière une vitre et que vous touchez un salaire régulier. Ceux qui ont le privilège de pouvoir toucher un salaire y vont. J'étais pauvre, et je me rendais donc aussi dans les clubs de lap dance, plus tard, pour compléter mes revenus. Mais j'étais sur la voie de la sobriété. Je voulais rester loin des drogues, alors je suis allée travailler dans ce club. 

Et très vite, les clients ont commencé à apporter des caméras et nous filmaient sans notre consentement. En outre, les danseuses noires avaient moins de créneaux et on ne leur donnait pas les horaires souhaités. 

Il y avait beaucoup de body shaming, de critiques sur nos corps. On m'a dit que j'étais trop grosse pour travailler là. Mais je bougeais bien. On m'a donné moins de créneaux au début. Et quand j'ai perdu un peu de poids, on m'en a donné plus…Des choses comme ça ! 

Et toutes ces petites règles : si vous aviez une minute de retard, vous n'étiez pas payée. Et bien sûr, les femmes de couleur et les femmes plus âgées avaient moins de travail. Il y avait beaucoup de microagressions ou ce que nous appelons la discrimination. 

 Nous voulions donc nous débarrasser des caméras. Nous avons commencé à afficher des posters avec un appareil photo barré par une grande ligne. La direction les a enlevés, les a arrachés. Alors nous avons commencé à quitter la scène, et, à organiser un piquet de grève à l’extérieur. Nous nous sommes mobilisées. Ces femmes féroces, dont l'une avait tout juste 19 ans à l'époque, ont commencé à quitter la scène.

J'ai fait de même parce que c'était la bonne chose à faire. Le courage est contagieux. Pas question de discuter : nous marchons hors de la scène maintenant. Ok, on y va. Pas de discussion possible !

 Alors ils ont essayé de virer une danseuse qui était mère célibataire. 

Il y avait aussi beaucoup de femmes et de danseuses homosexuelles, qui n'en parlaient pas à leur partenaire ou à leur mari. Elles avaient des enfants. Donc être filmée pour elles, c’était très risqué.

 L'anonymat a disparu de toute façon, c’est vrai, mais c'était risqué. Et quand vous êtes totalement nue, c'est vraiment envahissant, agressif d’être filmée à son insu. C'était donc la goutte d'eau qui a fait déborder le vase ! C'est bon, ça suffit ! Partons d'ici ! Et on s’est mobilisée.

 Et je me demande parfois pourquoi nous acceptons autant de choses ? Pourquoi nous avons une telle déférence envers l’autorité ? Pourquoi tant de conformité ? Enfin, c'est un autre sujet, je suppose, mais c'est aussi très ancré dans le travail. 

 Bref, on a débrayé et on s'est syndiqués. Ça a pris deux ans. Nous avons combattu et gagné notre guerre du travail. Nous avons rejoint une branche locale de l’un des plus grands syndicats, le SEIU (Service Employees International Union). Et détrompez-vous : les gens croient qu'ils voulaient de nous, mais ils ne voulaient pas de nous. C’est juste que nous ne leur avons pas laissé le choix. Nous utilisions leur bureau pour photocopier nos prospectus, et pour nous, « non » n’était pas une réponse !

 27 ans plus tard. J'ai fondé un groupe appelé "Strippers United" (https://www.strippersunited.org/) lorsque l'AB5 (Assembly Bill No. 5), cette toute petite partie du code du travail, a été modifiée en Californie. Et sans vouloir être trop technique, c'est juste une partie du code du travail. Pensez au code du travail comme à une pizza. Cette petite partie du code du travail n'est qu'une tranche de la pizza, mais elle la complète entièrement, elle la maintient ensemble. Et elle dit que : les danseurs sont des employés, ce qui signifie qu'ils peuvent se syndiquer.

Ça veut dire que les danseuses et les danseurs sont reconnus par le National Labor Relations Board au niveau fédéral (une agence fédérale indépendante sur le monde du travail). C'est tout ce que ça veut dire. 

Mais la propagande s’est mise en route. Comme celle du Kremlin et de Poutine. Comme toutes ces machines de propagande criminelle destructrices. Et les propriétaires de clubs ont expliqué, ont fait croire que cette petite part de pizza était terrible pour les danseuses. Qu’elle allait rendre la vie des danseuses misérable en les extorquant davantage et en leur faisant payer des frais sur leur propre salaire. 

Voler leurs salaires. Vous forcer à travailler. Vous faire payer pour travailler. Ils ont créé des « frais divers » (weird fees). Ils le faisaient déjà depuis 29 ans, mais maintenant ils utilisent ce code du travail.

C'est très insidieux, la propagande, la déformation et l'altération de quelque chose de bon pour en faire quelque chose de mauvais et, en fait, promulguer des politiques sur le lieu de travail qui rendent votre vie plus merdique. Donc ça détourne les danseurs de la possibilité de se syndiquer. 

 La lutte est donc très difficile, mais ils se syndiquent quand même. 

Les "Star Garden Dancers" (https://www.stargardendancers.com/) à North Hollywood se sont syndiqués.

Les travailleuses du sexe se syndiquent à nouveau. Et avec mon organisation, "Strippers United", nous avons des « réunions de connaissance de vos droits » (d’information juridique) et nous parlons de ces choses.

 Il y a beaucoup d’émotion et c’est très dur. Nous sommes un groupe traumatisé. 

Mon histoire d'activisme, à travers Act Up et les droits des homosexuels m’aide. J'ai fait partie de plusieurs groupes contre la violence domestique. Je manifeste dans les rues depuis 1992. J'ai travaillé dans le premier sex-club lesbien comme videuse en 1992. J'ai étudié la pensée féministe noire en 1992 au Mills College. Et j'ai toujours été une manifestante, et j'ai toujours su que ça marchait. Et vous ne pourrez jamais vraiment me convaincre de dire le contraire, je suis désolée. 

Poster quelque chose sur Instagram, je pense que c'est créatif et important, mais c'est tout autre chose d'être dans les rues et de prendre des risques et de mettre son corps en jeu. Et je pense que les manifestations "Black Lives Matter" ont vraiment montré que nous pouvons le faire et que ça marche toujours et que ça a un effet et que ça apporte des changements significatifs. Il est extrêmement difficile et important pour les travailleurs du sexe de descendre dans la rue, de se rassembler, de travailler ensemble, de construire des alliances, de guérir leurs propres traumatismes, de prendre en charge leur santé mentale, de raconter leurs histoires et de se rassembler.

 Et il y a beaucoup de turbulences parce que les travailleurs et travailleuses du sexe existent à l'intersection de tant de types d'oppressions différentes, en particulier les travailleuses du sexe de couleur. Et le fait d'avoir été exploitée pendant si longtemps et que cela se soit normalisé est si traumatisant. 

 Et l’activisme peut faire vraiment peur, donc il est très important de donner plus de pouvoir aux travailleurs et cela prend beaucoup de temps. J'ai donc créé « Strippers United » en 2018. Il a fallu un an et demi pour que des stripteaseuses viennent à mes réunions. Des travailleuses du sexe de toutes sortes venaient, mais pas les stripteaseuses. Nous avons organisé une marche pour la « Journée internationale des prostituées », et c'est ainsi que j'ai rencontré la communauté des travailleurs du sexe. Nous avons commencé à nous rencontrer, à discuter, à soutenir nos pétitions respectives, à adopter des lois et à travailler avec d'autres groupes. Et c'est ce qui se passe actuellement, mais c'est lent et c'est difficile. Si c’était facile, tout le monde le ferait ! Et cela prend du temps. Donc, oui, le mot « travailleur du sexe », j'apprécie vraiment que vous l'utilisiez parce qu'il est vraiment important de nous reconnaître en tant que mouvement syndical.


[00:25:43.090] - François-Xavier ROBERT

Exactly. In French we would say : "travailleuses et travailleurs du sexe"

 

[00:25:43.780] - Antonia CRANE
C’est un mot très sexy. C’est génial.

 

[00:25:44.800] - François-Xavier ROBERT

Vous nous avez raconté en détail l’histoire de la création du syndicat. Et peut-être que le livre donne une voix aux femmes travailleuses du sexe ?

[00:25:55.030] - Antonia CRANE
Eh bien, écoutez, les voix sont toujours là. Je n'ai donné de voix à personne. Je ne crois pas à ça. Je ne crois pas qu'il faille donner une voix à qui que ce soit. Tout le monde a une voix. Nous devons juste les écouter. Nous devons écouter. Comme avec le California Labor Board, je me souviens de ces nombreuses conversations que j'ai eues avec différentes organisations, et l'une d'elles était la Fédération de Californie. Ce sont des amis de « Strippers United ». Mais ils m’ont demandé : « Où sont les travailleuses du sexe ? Où sont les strip-teaseuses. Pourquoi la question n’est-elle pas plus publique ? Pourquoi on ne parle pas de vous ? » Précisément, je vous pose la même question. On crie. Nous avons crié. Pourquoi n'écoutez-vous pas ? Donc les voix sont là. Elles ont besoin d'un micro. Les voix ont besoin d'être écoutées. Nous devons demander aux travailleurs du sexe ce qu'ils veulent et comment ils peuvent être soutenus au mieux.


[00:26:48.010] - François-Xavier ROBERT

So don't give them a voice, but you amplify their voices. 


[00:26:50.550] - Antonia CRANE
Oui exactement, nous amplifions ces voix. Comme ce que vous faites en ce moment. Vous amplifiez la voix d'une travailleuse du sexe.


[00:26:56.110] - François-Xavier ROBERT
Yeah, exactly.

 

[00:26:57.160] - Antonia CRANE
Et je suis inhabituelle. Et je le sais, je suis un cas inhabituel parce que je suis une privilégiée, c'est-à-dire : Je suis blanche, j'ai quelques privilèges, je suis CIS, mais je suis queer et je suis lesbienne, bi, pan (bisexuelle, pansexuelle). Peu importe. J'ai de multiples identités, et j'ai 51 ans, donc c'est inhabituel. Je suis une travailleuse du sexe chevronnée et je suis aussi très instruite. Je ne viens pas de la pauvreté, mais je me débrouille seule depuis l'âge de 15 ans. Je suis donc étrange. Et j'ai été arrêtée pour prostitution, donc j'ai cette histoire. Je suis une étrange combinaison de choses et je marche dans la nuit !


[00:27:51.670] - François-Xavier ROBERT
Parfait. Ce qui vous intéresse, c'est ce qui « manque dans nos vies ». J'aime ce point dans votre écriture, pourquoi le travail du sexe existe-t-il ? Parce qu'il y a quelque chose qui manque dans les relations entre les gens, dans leurs connexions ? Pouvez-vous nous en dire plus ?


[00:28:11.980] - Antonia CRANE
Je ne suis pas sûr de comprendre ce que vous voulez dire ?

Vous parlez d’un manque pour moi ou d’un manque pour mes clients ?


[00:28:17.290] - François-Xavier ROBERT

Pour vos clients, plutôt.

 

[00:28:19.160] - Antonia CRANE
D’accord.

 

[00:28:21.490] - François-Xavier ROBERT
Pourquoi ont-ils besoin de vos services ?

 

[00:28:26.060] - Antonia CRANE

C'est la profession la plus ancienne du monde, comme vous le savez. Et je pense que nous sommes comme condamnés à une « solitude terminale », mais que c'est aussi plus lourd que ça. Je pense qu'il manque une pièce pour pouvoir exprimer ses désirs, ses véritables désirs à son partenaire et aux membres de sa famille. Tout comme le fait de vouloir plus d'amour dans sa famille, de vouloir être étreint et écouté, et d'avoir la permission de demander ces choses. Je pense que ça manque. Je pense que l'affection est importante. Je pense que l'affection venant d’un inconnu est importante. Je pense que le fait de se connecter et de parler réellement à d’autres êtres humains, d'être ensemble et de se rapprocher d'eux est vraiment important. Et je pense aussi que c'est normal de vouloir se connecter avec une belle étrangère, et c'est un élément qui manque et qui est stigmatisé. Alors que cela devrait être une chose tout à fait acceptable de pouvoir avoir ça dans sa vie. C'est juste un petit morceau de joie, de bénéficier d’une tendresse qui n'est pas celle de votre famille immédiate. D'être pris dans les bras de quelqu'un et de ressentir ce lien profondément humain. 

 Ça me fait penser à cette histoire. Toutes mes meilleures histoires de strip-tease ont eu lieu dans les équipes de jour. J'ai l'impression que les personnages les plus étranges et les plus particuliers entrent dans le club de striptease pendant la journée pour une raison quelconque. Et cet homme âgé (mon public est composé d'hommes plus âgés), il devait avoir entre 60 et 70 ans. Il voulait que le DJ joue Frank Sinatra. Personne ne joue Frank Sinatra ! On joue Cardi B. On joue Prince. On ne joue pas Frank Sinatra ! Mais le DJ l'a fait pour moi, je lui ai demandé : « est-ce que tu peux juste jouer Frank Sinatra s’il-te-plaît ? » Le vieil homme devait avoir plus de 75 ans. Et je l'ai pris dans mes bras et on a dansé sur une chanson de Frank Sinatra. Et c'était très émouvant parce qu'il voulait juste me payer pour danser dans un club où tout est rouge, magnifique, entouré de femmes sexy et danser sur Frank Sinatra. 

Alors vivre ça, vouloir ça, être capable de faire ça : qu'est-ce qu'il y a de mal là-dedans ? Rien. 

 J'aimerais aussi que les femmes soient encouragées au lieu d'être terrorisées, qu'on puisse exprimer nos désirs. Quand vous demandez aux femmes ce qu'elles veulent, souvent nous ne le savons pas, parce qu'on ne nous l'a jamais demandé. Mais à quoi ressemblerait un club de strip-tease pour les femmes ? Bien sûr, nous avons les Chippendales... Mais je pense que c'est une question qui mérite d'être posée. A quoi ressemblerait une expérience vraiment cool comme celle que j’ai décrite mais pour une femme ? Pour la femme d'aujourd'hui, pour une personne non-binaire ou une personne homosexuelle ? A quoi cela ressemblerait-il ? J'espère qu’un jour nous aurons une réponse à cette question.


[00:31:56.810] - François-Xavier ROBERT
That will be our conclusion for today. Thank you.

[00:32:01.010] - Antonia CRANE
I really can go on if you get me started!

 

[00:32:03.340] - François-Xavier ROBERT
I know! I hope that everybody can have a little moment of joy by reading your books. The title in French is: "Consumée". In English, it's: "Spent". Thank you. Antonia CRANE.

[00:32:17.560] - Antonia CRANE
Thank you so much, Francois. It's been such a pleasure today.

 

[00:32:19.900] - François-Xavier ROBERT
Thank you. Thank you.

 

[00:32:20.670] - Antonia CRANE

Thank you. Have fun.

  

ORIGINAL RECORDING OF THE INTERVIEW IN ENGLISH

 

[00:00:07.960] - François-Xavier ROBERT

I'm very happy to welcome you to this podcast. We are in Vincennes for the festival America.

I will introduce you very briefly to our listeners.


[00:00:21.850] - Antonia CRANE

Fantastic.

 

[00:00:23.010] - François-Xavier ROBERT
So you're a writer, you're a dancer, you're a book coach, you're a stripper, you're a sex worker. I insist on this role because I know that this word "sex worker" is important for you. It's important because You want it to be recognized, heard, written. So, yes, I will say it many times during this interview.

 

[00:00:45.130] - Antonia CRANE

I appreciate that, thank you.

 

[00:00:47.140] - François-Xavier ROBERT

And we meet because of course, you wrote a book, a memoir. So it's interesting too, because it's not an autobiography, it's more a memoir, more about feelings, more about the first part of your life and your emotions, and you have to transmit a message to your readers.

 

[00:01:06.820] - Antonia CRANE

That's interesting. You're distinguishing between autobiography and memoir. I think in America they're the one and the same. I think in biography, when I think of it, I think of someone else writing it about a person. But when we're writing about our own lives, I also think that it's impossible to write a memoir because our lives are always changing and our perspective is always changing. So when I'm teaching memoir, I taught at UCLA Extension in the writing program for seven and a half years, and now I'm in a PhD program for writing. But I've taught for a long time, and I also taught incarcerated teenage girls and atrisk youth. And I always say writing a memoir is impossible because you are different than you were yesterday, you're different than you were five years ago, and you're going to be different in two years. How you think about your life of something that happened seven years ago. So it's sort of impossible. But guess what? People do impossible things every day. So we're just going to try. We're going to do something impossible. So let's just try. So the word to write an essay means to try, to attempt.

 

[00:02:13.020] - Antonia CRANE
So I think of memoir also as an attempt to try and be of service to the truth of our lives, of my life. So that's what my memoir is, it's an attempt.

 

[00:02:23.830] - François-Xavier ROBERT

So maybe you could write many memoirs, many different with different angles.

[00:02:31.090] - Antonia CRANE

Yeah, my memoir "Spent" was a specific container of time, and so I could have written like five other memoirs about totally different times in my life because I'm older than I look. So I've lived many lives.

[00:02:46.290] - François-Xavier ROBERT

One thing you said yesterday, because I attended to one of your debate here during the festival, there is nothing easy about writing that was really interesting. What's so difficult?

[00:03:00.490] - Antonia CRANE
Yeah, well, I mean: work is difficult, running is difficult, going to the gym is difficult, anything worthwhile is difficult, any art form is difficult. And I think when I'm very about my writing, I need for it to feel like something I can approach. So, like I'm a chop wood, carry water writer. And what that means is, like, brushing my teeth, I write. I write like chopping wood, carrying water, heating up water, making coffee, shaving, writing so is writing. So, for me, I write so that I can run. I write so that I can go on with my day. And I need for it to be like an everyday thing, even if it's just a paragraph, I need for it to feel approachable, or else it becomes very heavy. Like when you don't make a phone call that you need to make, that you haven't made, and a day goes by and then a week goes by, and then six months go by, pretty soon the phone is so heavy, it's like as heavy as a car, and you can no longer make the call. Writing, I need for it to be, every day, something that I fall into the arms of writing, even if it's like bedtime.

[00:04:11.980] - Antonia CRANE
And I'm like : "oh, I didn't write". Okay, I'm going to fall into the arms of writing and just write a couple of sentences. Now, I say that this festival has been a marathon running, so I have not written, but I'm thinking about it. I'm thinking about writing. And I know that I'm ready to write a few sentences today, and I'm going to commit to do that. And three, committing to it every day. Like a marriage, a marriage is falling in love every day. Writing is also falling in love every day.


[00:04:43.510] - François-Xavier ROBERT
When you are writing, do you need a routine, like it's in a special place?

[00:04:50.310] - Antonia CRANE
I'm very routine.

[00:04:51.810] - François-Xavier ROBERT
Yeah, I think that's important for a writer.


[00:04:54.940] - Antonia CRANE
I think that some people, when they think about me, the thing they commented on is : "oh, you have this wild life, or you have this adventurous life", and I'm actually a pretty boring person as far as my routine. I have a certain ritual and routine that I really love and need, and it involves exercise, running, connecting with nature, doing just exercises to move my hips. As a dancer for 29 years, I'm stiff, so I need to do my exercises, get my body moving so that I can think and metabolize what I'm thinking about. And then I need to run. I need to run to create a space to metabolize things that I'm thinking about. And it doesn't matter if I'm listening to a podcast about writing or about something else, politics, music. I'm still in my mind. I'm still working through the thing. I'm working through the problem, and I'm not even totally conscious of it. And that's part of my writing routine.


[00:05:55.720] - François-Xavier ROBERT
I love this routine because, you know, there's 20th century French cliché, but writers, their routine is like smoking cigarettes and drinking coffee. That's their only exercise.

 

[00:06:08.140] - Antonia CRANE
Yeah, well, I'm a dancer.

 

[00:06:11.440] - François-Xavier ROBERT
I think that's interesting because today a lot of writers say they need to walk or they think better when walking, but you're running even faster.

 

[00:06:22.500] - Antonia CRANE

Running started...I've been a dancer since I was three. Downhill snow skiing, three. So my body and movement and thinking and being embodied and remaining in my body and being needing to move in order to think is very much a part of my upbringing. It's part of my life. I can't help it. So I feel very depressed when I'm not when it's a day of not running, I feel a little bit down. But you know what? That's also good for my writing. Sometimes, the downtime, take a day off! Even though I hate days off. Come on, it's okay. Like, if I feel a little low, I can still use that in my writing.

 

[00:07:03.640] - François-Xavier ROBERT
Different energy.

 

[00:07:04.770] - Antonia CRANE

It's different energy. Novelty is really important for a writer to have, like, a slightly change in one's routine and one's visual stimulus. I think that's really important too. But what we were saying about running so I started running in 2004. I've been running almost every day since. And the reason why 2004 is because my mother was diagnosed with a very rare cancer. A cancer that is like being struck by lightning. So it's very rare. And it was like she was struck with cancer, and then it went into remission like two or three times. It goes away, it comes back. It goes away, it comes back. And I was so angry and helpless, and I didn't know how to feel, how to metabolize those feelings. I also had a desk job for two and a half years during that time, and I was just writing, writing, writing. And that's how I got into my master's program, is the desk job. I was actually working on an entertainment law firm when the Michael Jackson trial was going on in that same building. Michael Jackson's pedophile trial was going on in the same building.

[00:08:18.370] - Antonia CRANE
Yeah. So I worked at a famous entertainment law firm. I was a receptionist, so I was writing fiction, and my mother had cancer. And I was so angry and I was so enraged. And running is the only thing that helped because you feel out of control. Because when you feel out of control and I think it speaks to how people have been feeling during the pandemic. Before, during, and after the pandemic, like the rage and the losses and the divisiveness and the isolation. I ran every day during the pandemic. And it does help. It helps metabolize unfathomable rage, unfathomable loss and a feeling of helplessness. And it also helps me kind of process it and be able to write. So it is very much embedded in part of my writing.

 

[00:09:09.610] - François-Xavier ROBERT
One important working thing.

[00:09:11.910] - Antonia CRANE
Yeah, very important thing. Kind of like drinking coffee.

 

[00:09:14.440] - François-Xavier ROBERT

Of course. You just told me that you started dancing at the age of three.

 

[00:09:23.140] - Antonia CRANE

Yes. Dancing at the age of three.

 

[00:09:24.990] - François-Xavier ROBERT

When did you when have you started writing?


[00:09:31.010] - Antonia CRANE

I started writing. I remember I went to private Catholic school for the first seven years of my life. "Seven grades", we call it. And I remember I was in the third grade, and I think I was one of the youngest in my class. I was like eight or nine. And we had to write a list of what we wanted to be when we grew up. And number one was dancer. Number two was singer. Number three was writer. I couldn't decide. And I've been a dancer my whole life, a singer in my whole life, and now a writer. And the writer was third. I think a part of me, when I was nine years old, knew it seemed impossible and hard, and it is impossible and hard. So I started writing poetry and just trying to...I always kept a journal. I have like so many journals, and I always wrote and kept journals and just thoughts, colors, names that I like: what I call "glimmers". Things that hold a vibration that you notice, that have a resonance in your day, that consciousness. And I call it spatial intelligence. A dancer, I think, walks through the world differently.

[00:10:37.390] - Antonia CRANE
Dancers, just like a person with asthma who struggles with their breath walks through the world differently. Or someone who is diabetic walks through the world differently. Or someone with a neurodivergence issue walks through the world differently. I think dancers walk through the world differently, and I call it just a different sort of spatial intelligence. Not that I'm better than anyone else, but I just think like a dancer.

 

[00:11:01.660] - François-Xavier ROBERT
You had a lot of materials. When you decided to write your book, like your memoir, to publish a book, did you search in this material or have you started from fresh to write your memoir?


[00:11:19.460] - Antonia CRANE

I did everything wrong. I made every mistake. I never intended to write a memoir. I was in masters program for fiction, which is great, making up stories. But all of my stories came from the 90s. Drag queen, stripping, sex work...And then my mother's body. I couldn't get my mother's body out of my mind. It was taking up space in the room. Every time I started to write a story, my mother was in the space. My mother wanted to be in the space. She was just, my mother dying, the feeding tubes. So I told my advisor: "maybe it's a collection, I don't know". So I started writing fiction, and then maybe, it's a collection of short stories based on truth. And then I checked that, threw that out. And then I had another terrible, just basic story that one writes when one is just thinking of characters. Oh, and I wrote a story about living in India, which I lived as a teenager in India, and I wrote that story, which is also true. But my mother's body and stripping and sex work always wanted to be there. So it took me like two and a half years to get to the point where, okay, it's a memoir.

 

[00:12:38.290] - Antonia CRANE

So it was just a process. Like, someone told me that, probably one of my professors, maybe it's Richard Yates, the author of "Revolutionary Road", he said: "you have like, one or two stories, you're going to be telling them your whole life". And I'm always writing about my mother, and I'm always writing about death, and I'm always writing about sex work, but maybe writing them in different ways and massaging the material. But he said that every writer has, like, two stories they tell their whole life.

 


[00:13:09.640] - François-Xavier ROBERT

So you've done the first one. I was thinking, because yesterday I heard you say that you allow yourself to write garbage. Like cliche. You sort out all of this, and one thing important was that it makes you cry. So you focus on the emotion a lot.


[00:13:37.470] - Antonia CRANE

Yes. So the first thing you said was: "allow yourself to write garbage". And for me, what I was talking about is permission. So I think it's important. One thing that I noticed that new writers do is they always have to kill the writer. So you think you have to be this writerly voice, with this perfect image of what a writer sounds like. 

 

[00:14:01.310] - Antonia CRANE

And it's way up here, right? It's up here and it's perfect, and the sentences are excellent, and the craft is perfect: boring! It's garbage. I think about Anne Frank in the beginning of Anne Frank is: "I hope you will be my friend. I'm going to tell you a secret. Please listen. Please listen to me. I want to tell you a secret. Please. I hope you'll be my friend." And the reader is right there, like two inches away, and she's telling her deathbed story. And the best teachers I've had are just like: "don't waste anybody's time. Tell your deathbed story. Tell the secret. Don't waste anybody's time". And you have permission, give yourself permission to do it badly, and then you can go back later. And so for me, it's just permission to write garbage. That's what I mean by that.


[00:14:53.360] - François-Xavier ROBERT
A brief intermission. I forgot to say the title: "Spent". In English. And the French version is: "Consumée".

 

[00:15:04.290] - Antonia CRANE
Be eaten, to eat, to be consumed.


[00:15:07.210] - François-Xavier ROBERT

Exactly.


[00:15:08.660] - Antonia CRANE

To be ravaged, to burn.


[00:15:12.490] - François-Xavier ROBERT
Beautiful title.

[00:15:14.060] - Antonia CRANE
Thank you. I have a great translator. Michael?

 [00:15:17.520] - François-Xavier ROBERT
Yes. Michael Belano.

 

[00:15:19.710] - Antonia CRANE
Yes. And the publisher "Tusitala": they're so wonderful. I've never been better taken care of. Go with the indie publisher. Great time.

 

[00:15:30.190] - François-Xavier ROBERT
Listen to this advice! I've read some somewhere that you've been compared, (or maybe your books) to a: "X-rated Simone de Beauvoir" 

 

[00:15:42.580] - Antonia CRANE
I love that.

 

[00:15:43.420] - François-Xavier ROBERT
And a "Marguerite Duras on meth". So of course, as a French person, I was like, wow, not bad. Simone de Beauvoir and Marguerite Duras. They are two iconic, literary, powerful women of the 20th century. What do you think about that? 

 

[00:16:02.850] - Antonia CRANE
And I'm incredibly flattered, I think that to be compared with these incredible, sensuous feminists...I come from a long line of powerful, ferocious feminists, and I'm really flattered to be compared to them. Sensuality, intersectional feminism: these are things that mean a lot to me. French feminist literary criticism means a lot to me. I was spoon fed on, of course: Marguerite Duras, Monique Wittig,  Hélène Cixous, Jeanette Winterson, Sandra Cisneros, Alice Walker... so many! And so many others that are leaving my mind because I'm trying to hard to grab onto them. Now I'm reading Virginia Despentes, and I was told that, I was reminded of her, and I just almost died on the spot. I was so flattered. But, yes, I think we need to revisit our feminist text and keep the pulse alive. And I'm really flattered.

 

[00:17:05.660] - François-Xavier ROBERT
Now I'd like to speak a little bit about the "sex work" part of your book and the creation of your union. Can you explain to our listeners sure. This wonderful story.

 [00:17:21.940] - Antonia CRANE
It's a really important story. You want to know the past and the present or just the past?


[00:17:27.940] - François-Xavier ROBERT
The past and the present.


[00:17:29.130] - Antonia CRANE
Yeah. Okay. In 1996, I started working at a peep show, a nude peep show called "The Lusty Lady" in North Beach in San Francisco. I was just getting sober. I was getting off meth, and I owed everybody money, and I needed to get back to dancing. But I didn't want to go back into the lap dancing clubs where there's a lot of drugs being passed around at all times. So I thought I should maybe go to this place where it's kind of more of a privileged, middle class, sex work environment because it's behind glass and you wait for a paycheck. So those that have the privilege to be able to wait for a paycheck go there. I was poor, and so I would go to the lapdancing clubs also, later, to supplement my income. But I was like, I'm getting sober. I want to stay away from the drugs, so I'm going to go here. And right away, people were bringing cameras in and filming us without our consent. Also, black women dancers had fewer shifts, and they didn't have the desirable shifts. There was a lot of body shaming. I was told that I was too fat to work there and that I needed to...

[00:18:38.970] - Antonia CRANE
But I had the moves, and I was given less shifts at first. And when I lost weight a little bit, I was given more shifts, things like that. And these policies, if you were 1 minute late, you didn't get your raise. And of course, the women of color and older women were given less shifts. There was a lot of microaggressions or what we call discrimination. So we wanted to get rid of the cameras. So we started posting up pictures of a camera with a line cross through. Management took them, tore them off, and we started walking offstage, and we started picketing outside. We mobilized and just these fierce women, one was 19 years old at the time, and she started walking off stage. I followed suit because it was just the right thing to do. Courage is contagious. And there was no question, like, we're walking offstage now. Okay, let's go. No questions. And then they tried to fire the single mom dancer. There was also, like, a lot of queer women and dancers who were not out about it to their partners or husbands. They had children. So being filmed was very risky back then.


[00:19:54.510] - Antonia CRANE

We didn't have that. Anonymity has gone anyway, but it felt risky, and it was risky. And when you're totally nude, I mean, that's really invasive. So that was the main they say straw that broke the camels back, meaning last straw, meaning like, okay, that's it. Let's get out of here. So we mobilize.

[00:20:30.450] - Antonia CRANE
And I wonder sometimes why we take so much, why the deference to authority is? Why so much compliance? Anyway, that's another topic, I suppose, but it's also very embedded in, like, labor. Anyway, we walked out and we unionized. It took two years. We fought and won our labor war. We joined a larger union, SEIU (Service Employees International Union) Local 790. I think one of the myths is that people think that they wanted us, they didn't want us. We didn't take no for an answer. We were using their office to xerox our flyers, and we just didn't take no for an answer. Cut to 27 years later. I founded a group called "Strippers United" (https://www.strippersunited.org/) when AB5 (Assembly Bill No. 5), this little tiny part of a labor code, was changed in California. And without getting too technical, it's just a part of there's a labor code. Think of a labor code as a pizza. This labor code is just a slice of the pizza, but it makes it whole, it holds it together, and it means, like, listen: dancers are employees, which means they can unionize.


[00:21:38.470] - Antonia CRANE
It means they're recognized by the National Labor Relations Board federally. That's all it means. But the propaganda. Like the Kremlin. Putin. These destructive criminal propaganda machines. They, somehow, the club owners and the clubs, made it sound like having that pizza : the pizza holding it together was terrible for dancers and made the dancers'lives miserable by extorting them more and making them pay their own wages. Stealing their wages. Taking it to a whole other level. Forcing you to work. Charging you to work. Calling it these weird fees. They've been doing it for 29 years, but now they're using this labor code. It's very insidious, the propaganda, the twisting and the warping of something good and making it something bad and actually enacting policies on the shop floor that are making your life shittier. So it's turning dancers away from the possibility of unionizing. So it's been very difficult, but they're unionizing anyway. "Star Garden Dancers" (https://www.stargardendancers.com/) in North Hollywood are unionizing.

[00:22:54.870] - Antonia CRANE
Sex workers are unionizing again. And we are, my organization, "Strippers United", we have "Know Your Rights meetings" and we talk about these things, and it's very emotional and it's very tough. We are a traumatized group. My history of activism and Act Up and queer rights. And I've been in several groups against domestic violence. I've been protesting in the streets since 1992. I worked at the first lesbian sex club as a bouncer in 1992. I studied Black feminist thought in 1992 in Mills College. And I've always been a protester, and I've always known that it works. And there's nothing you can really convince me to say otherwise, I'm sorry. But uploading something on Instagram, I think it's creative and important, but it's different than being in the streets and taking that risk and putting your body on the line. And I think "Black Lives Matter" protests really showed that we can do it and it still works and has an effect and it makes significant changes. So sex workers taking to the streets and bonding together and coming together and working together and building these alliances and healing our own trauma and taking responsibility for our mental health and telling our stories and coming together is so extremely hard and so extremely important.

 

[00:24:15.560] - Antonia CRANE
And there's a lot of turbulences because sex workers exist at an intersection of so many different kinds of oppressions, particularly sex workers of color. And being exploited for so long and it being normalized is so traumatic. And protest is so scary that it's so important to build worker power and it takes a lot of time. So I formed "Strippers United" in 2018. It took a year and a half for any strippers to come to my meetings. It was all sex workers of all kinds, but not strippers. We had an "International Whores' Day" march, and that's how I met the community of sex workers. And we began to meet and talk and support each other's petitions and pass laws and work with other groups. And so it's happening, but it's slow and it is hard. It's not easy or else everybody would be doing it. And it takes time. So, yeah, the word "sex worker", I really appreciate you using it because it is really important to recognize us as a labor movement. 

[00:25:43.090] - François-Xavier ROBERT
Exactly. In French we would say : "travailleuses et travailleurs du sexe"

 

[00:25:43.780] - Antonia CRANE
It's a sexy word. It's great.

[00:25:44.800] - François-Xavier ROBERT
So that was the union. And maybe the book gives a voice to women sex workers.

 

[00:25:55.030] - Antonia CRANE
Well, listen, the voices are always there. I didn't give anybody a voice. I don't believe in that. I don't believe in giving anybody a voice. Everyone has a voice. It's that we have to listen. We have to listen. Like the California Labor Board, I remember these I've had many conversations with many different organizations, and one of the ones was the California Federation. They're friends of "Strippers United". But they said: "Where are sex workers? Where are strippers. Why isn't this more public? Why aren't you more public?" Yeah, I'm asking you the same question. We're screaming. We've been screaming. Why aren't you listening? So the voices are there. They need the microphone. The voices need to be listened to. We need to ask the sexworkers what they want and how they can be best supported.

[00:26:48.010] - François-Xavier ROBERT
So don't give them a voice, but you amplify their voices.


[00:26:50.550] - Antonia CRANE
Yes exactly, we amplify those voices. Like what you're doing right now. You're amplifying one sex worker's voice.

[00:26:56.110] - François-Xavier ROBERT
Yeah, exactly.


[00:26:57.160] - Antonia CRANE
And I am unusual. And I know that, I'm unusual because I'm a privileged, meaning: I'm white, I have some privileges, I'm CIS, but I'm queer and I'm lesbian, bi, pan (bisexual, pansexual). Whatever. I have many things, and I'm 51, so that's unusual. I'm a veteran sex worker and I'm also highly educated. I don't come from poverty, but I've also been on my own since I was 15. So I'm strange. And I've been arrested for prostitution, so I have that story. I'm a strange combination of things and I walk in the night!


[00:27:40.610] - François-Xavier ROBERT

Just before we start this interview.

[00:27:44.440] - Antonia CRANE
It's such a pleasure.

[00:27:46.910] - François-Xavier ROBERT
There's one last point I'd like to.


[00:27:49.750] - Antonia CRANE
My coffee is just kicking in.


[00:27:51.670] - François-Xavier ROBERT
Perfect. What interests you is what is missing in your lives. I like this point in your writing why sex work exists because there's something missing in the relationship and the connections. Can you tell us more about it?


[00:28:11.980] - Antonia CRANE
I'm not sure I understand what you mean?

[00:28:14.190] - Antonia CRANE
Missing for me or missing for my clients?

 [00:28:17.290] - François-Xavier ROBERT
Yeah, for your clients.

[00:28:19.160] - Antonia CRANE
Okay, sure.

 

[00:28:21.490] - François-Xavier ROBERT
Why they need the sex work, in a way?

 

[00:28:26.060] - Antonia CRANE
Well, it's the oldest profession, as you know. And I think there is like a I think I've described that there is a terminal loneliness that exists, but I think it's heavier than that as well. I think that there is a missing piece of being able to express one's desires and true desires to their partner and to their family members. Just like wanting more love in their family, wanting to be held and listened to and having permission to be able to ask for those things. I think it's missing. I think affectionate is important. I think affectionate from strangers is important. I think connecting and really talking to and being with and connecting to humans is really important. And I also think it's okay to want to connect with a beautiful stranger and that is a missing component and it's stigmatized. But I think that it should be a totally acceptable thing to want to have in one's life, and it's just a little piece of joy to participate in affection that's not your immediate family. To be hugged by someone and to have a human connection. It reminds me of this one day. All my best stories of stripping are day shifts.

[00:30:01.540] - Antonia CRANE
I feel like I get the strangest, most idiosyncratic characters walk in the strippers club during the day for some reason. And this older man (my demographic is older men, right?) so he was somewhere probably late 60s, early seventy's. And he wanted the DJ to play Frank Sinatra. No one plays Frank Sinatra. We play "Cardi B". We play Prince. We don't play Frank Sinatra! And the DJ did it for me and I was like, can you please just play Frank Sinatra? And he was probably closer to 75. And I was like he was like, I can't stand. It's too uncomfortable. Can we stand? And I just held him and we danced to a Frank Sinatra song and I just held him. And it was very moving because he just wanted to pay me to dance in a red, beautiful club around sexy women and dance to Frank Sinatra. And it's like to have that and want that and to be able to do that. What's wrong with that? Nothing. I wish women were supported instead of terrorized, that we could express our desires. And, like, you ask women what they want and it's a lot of times we don't know because we've just never been asked.

[00:31:28.090] - Antonia CRANE
But what would a strippers club look like for women? Sure, we have Chippendales...But I think that's a question worth asking. What would a really cool experience like that look like? For today's woman, for person that are non binary person or queer person? Like, what would that look like? And I hope we can continue to see what gets created.


[00:31:56.810] - François-Xavier ROBERT

That will be our conclusion for today. Thank you.


[00:32:01.010] - Antonia CRANE

I really can go on if you get me started


[00:32:03.340] - François-Xavier ROBERT

I know! I hope that everybody can have a little moment of joy by reading your books. The title in French is: "Consumée". In English, it's: "Spent". Thank you. Antonia CRANE.


[00:32:17.560] - Antonia CRANE
Thank you so much, Francois. It's been such a pleasure today.

 

[00:32:19.900] - François-Xavier ROBERT
Thank you. Thank you.

 

[00:32:20.670] - Antonia CRANE

Thank you. Have fun.