Le Jardin - podcast littéraire

Étrangeté de la nature, monstruosité des humains : un voyage haletant avec ADELINE FLEURY, autrice de “Le Ciel en sa fureur” - Prix de l’Instant 2024

François-Xavier ROBERT Season 4 Episode 50

Jeudi 13 juin 2024, l’autrice Adeline Fleury a reçu le prix de l'Instant pour son livre paru en début d’année aux éditions de l’Observatoire : Le Ciel en sa fureur.
Un mois plus tard, nous nous sommes donnés rendez-vous à Paris dans le Parc Clichy - Batignolles Martin Luther-King pour évoquer cette remise de prix, et surtout pour parler du roman, de sa genèse, des travaux d’écriture, de relecture et d’accompagnement.

Adeline Fleury est romancière,  journaliste et ghostwriter. Elle a donc beaucoup de choses à partager avec vous sur cette activité passionnante et parfois déroutante qu’est l’écriture.
Dans Le Ciel en sa fureur, Adeline Fleury convoque des contes et légendes, un terroir normand entre mer et campagne, des faits divers bouleversants, des personnages hauts en couleur dont quatre femmes : Julia, la vétérinaire ; la grande Stéphane, maréchal-ferrante ; la Vieille, une guérisseuse ; et la fille du pavillon numéro 13…
Découvrons le livre en compagnie de l'autrice.

EXTRAITS DE L’INTERVIEW

“On écrit d'abord pour des lecteurs et d'abord pour raconter une histoire, raconter un pan d'humanité.”

“Je crois que le roman, c'est la liberté dans le cadre. On peut y aborder toutes sortes de sujets dans un cadre quand même avec ces codes aussi.”

“J'interroge la part de monstruosité et d'humanité. Ce ne sont pas des personnages manichéens, ce n'est pas tout blanc, tout noir. Ils sont tous, ils portent en eux une certaine monstruosité et ça m'obsède. Qu'est-ce qui fait qu'on bascule à un moment, que le monstre prend plus le pas sur l'humain ?"

“Les faits divers, c’est ma source d'inspiration. Ce n'est pas le fait divers sensationnaliste qui m'intéresse, c'est ce qu’il dit de la société. Et après, quand on le prolonge, ça a un pouvoir romanesque assez jubilatoire, il faut l'avouer.”

EXTRAIT DU LIVRE*

“Il a grandi dans l’obscurité et le silence, la lueur du jour et le bruit du monde ne sont qu’agression. Il a toujours l’impression de se heurter à un mur, un mur invisible qui a remplacé celui décati de la cave. Même s’il le désirait ardemment, il ne pourrait jamais vivre parmi les vivants, il fait partie des ossements depuis la naissance, malgré sa chair, il n’est que squelette et pourriture. Il appartient au peuple des ombres, malgré les vives protestations de son être, il demeure un mort-vivant, il traîne sa carcasse en même temps que sa peine, personne ne peut supporter pareil fardeau. Toutes les nuits, il suffoque dans l’abîme et ses ténèbres.”

*Cet extrait est mis en musique et chanté dans l’épisode grâce au générateur Suno.

AUTRES LIVRES DE L’AUTRICE

Les Frénétiques, Julliard, 2022
Les combattantes, Michel Lafon, 2022
Ida n'existe pas, Les Pérégrines, 2020
Je, tu, elle, Les Pérégrines, 2018
Femme absolument, JC Lattès, 2017
Rien que des mots, Les Pérégrines, 2016
Petit éloge de la jouissance féminine, Les Pérégrines, 2015

C'était le cinquantième épisode du podcast littéraire LE JARDIN. Champagne !
Je suis heureux de poursuivre cette aventure depuis avril 2021 et d’aller à la rencontre de nouveaux textes et de nouveaux écrivains à chaque épisode.
Si vous avez aimé ce dernier épisode, partagez-le avec vos amis, laissez un commentaire ou une note, s'il vous plaît. 
Votre soutien est précieux.

À LA TECHNIQUE

Interview, captation, prise de son et montage : François-Xavier ROBERT
Musique d’intro et outro : Mélodie hongroise, Franz SCHUBERT

Contact

  • Envoyez un e-mail à : fxrparis@gmail.com
  • Page Facebook : https://www.facebook.com/LeJardinPodcast

Merci d'écouter le podcast littéraire Le Jardin !

François-Xavier ROBERT
Les oiseaux nous font une introduction. Bonjour Adeline Fleury.

Adeline FLEURY
Bonjour.

François-Xavier ROBERT
Merci d'être avec moi, avec nous, les auditrices et les auditeurs du podcast Le jardin. Je vous rencontre aujourd'hui – et les petits oiseaux, effectivement, continuent de nous accompagner - parce que vous venez de recevoir le Prix de l'Instant pour votre dernier livre qui qui s'appelle Le Ciel en sa Fureur et qui est paru aux Éditions de l'Observatoire. Il est paru en janvier 2024. Qu'est-ce que ça fait pour une autrice, donc six mois plus tard, et puis j'imagine peut-être encore beaucoup plus de temps plus tard après avoir terminé l'écriture, de recevoir ce prix au mois de juin ?

 Adeline FLEURY
C'est super agréable. C'est quelque chose qui ne vient pas couronner, mais ponctuer une tournée en librairies, commencée dès janvier avec Le Ciel en sa Fureur. Et recevoir un prix de libraire, c'est super important parce que ce livre, il fonctionne bien en librairie, par bouche à oreille, de libraire en libraire, de coup de cœur de libraires en coup de cœur de libraires. Et qu'une librairie comme celle-ci, située à Paris 15ème, couronne ce moment au bout de six, sept mois, ça m'a profondément touché. 

C'est une librairie que je connaissais un peu, mais pas du tout dans mon quartier. Là, c'est dans le 15ème. Moi, j'habite à la frontière du 17ème et 18ème arrondissement. Mais cette librairie-là, je la connaissais de notoriété depuis pas mal d'années maintenant pour le travail de sa libraire Sandrine, qui aime découvrir des petites pépites. Elle aime la littérature à la fois populaire, grand public et des choses plus pointues. Et c'est un bel équilibre. Et oui, quand on écrit, on ne pense pas forcément à écrire pour des prix. Ce n'est pas la question. On écrit d'abord pour des lecteurs et d'abord pour raconter une histoire, raconter un pan d'humanité.

Et en plus, quand ça rencontre des lecteurs et qu'il y a des petits moments comme ça de « couronnement », c'est assez agréable.

 François-Xavier ROBERT
Oui, c'est chouette. Je trouve que ça met en relation. C'est Sandrine, on va dire, qui nous met en relation. C'est le prix aussi. Je commençais par ça parce que c'est vrai que le podcast s'intéresse à la fabrique du livre. Je rentre parfois un peu dans les détails pour expliquer à nos auditeurs comment ça marche, pas simplement l'écriture, mais après, parce qu'il y a un après et là, ça en fait partie. Mais on va revenir à l'avant. Ma première question de l'avant, ce serait tout simplement... Je sais que vous avez été journaliste, mais comment vous avez franchi le pas de l'écriture journalistique vers l'écriture de romans qui est tout à fait particulière ? C'est quoi le moteur ?

 Adeline FLEURY
C'est un long processus. Moi, oui, et je suis encore journaliste indépendante, on va dire, mais j'étais vraiment sur le terrain de 2000 à 2015 au Journal du Dimanche, donc vraiment, reporter un peu multicarte. Ensuite, j'étais au Parisien Week-End, je m'occupais des pages « culture » et des livres en particulier. Et à côté, j'ai toujours écrit d'abord des textes plus journalistiques, plus de l'ordre de l’essai. Des essais sur le corps, sur la féminité, sur l'articulation du féminisme et de la féminité. Et peu à peu, j'avais un besoin de fiction, de sortir de textes plutôt auto fictifs, plus à la première personne dans les textes précédents. Et là, j'avais une envie d'ailleurs, de personnages multiples, de romans un peu choraux, de m'immerger dans un territoire que je connais bien. Et c'est un peu la suite logique de ce que je faisais sur le terrain, des personnages comme ça, rencontrer des silences… J'avais des carnets de reportage. J'appelais ça mes carnets « off », tout ce qu'on ne peut pas mettre dans un article parce qu'il y a un cadre, parce qu'il y a une charte, il y a une ligne éditoriale. Et je crois que j'ai eu pas mal de frustration.

J'avais envie de prolonger le réel par la fiction. Et c'est venu naturellement et ça cohabite. Et je ne m'empêche pas de rechanger de genre à un moment. Mais je crois que le roman, c'est... Je dis toujours, c'est un petit peu la liberté dans le cadre. On peut aborder toutes sortes de sujets dans un cadre quand même avec ces codes aussi. Et tout cela s’imbrique et je suis assez à l'aise avec ces différentes formes d'écriture désormais.

François-Xavier ROBERT
Ce serait quoi pour vous la plus grande différence ? Il y a la longueur, j'imagine bien sûr, mais est-ce qu'il y a autre chose ? L'écriture d'un roman par rapport à une écriture d'un article.

Adeline FLEURY
Oui, j'en reviens à la notion de liberté, en fait. C'est vraiment la liberté, puis peut-être l'audace. On se permet moins parce qu'on doit rendre compte dans un article, du moins un article de reportage, rendre compte de ce qu'on a vu, de ce que les gens vous ont confié. On peut moins se permettre des infidélités et de tordre le réel, alors que dans le roman, on peut tordre le réel, passer même dans une autre dimension surnaturelle, etc. S'amuser ! Oui, c'est l'audace, c'est la liberté… Après, il y a des styles journalistiques audacieux aussi, les éditoriaux, les chroniques, des reportages aussi très audacieux dans les angles d'attaques, mais quand même, le roman, c'est la liberté.

François-Xavier ROBERT
Vous avez dit le mot féminisme. Est-ce qu'on peut dire que tous vos héros sont des héroïnes ? 

Adeline FLEURY
Oui, dans ce roman, il y a beaucoup de personnages féminins, singuliers et puissants. Ça, c'est en discutant avec les lecteurs et les lectrices dans les librairies. Après, dans mes romans précédents, ça a toujours été autour du corps féminin, donc porté par des personnages féminins. Oui, c'est féministe, mais ce n'est pas militant non plus. Je pense que c'est un féminisme incluant l'homme dans la réflexion. Bien que Le ciel en sa fureur, oui, est porté par deux femmes, la grande Stéphane et Julia, qui viennent de la ville pour occuper des métiers d'homme dans un milieu quand même très patriarcal à la campagne. Voilà, c'est ça. Dans la ruralité. 

François-Xavier ROBERT
Ce sont deux femmes très fortes.

Adeline FLEURY
Elles sont fortes, mais elles se fissurent aussi, elles sont fissurées à l'intérieur. Il y a d'autres personnages féminins comme Lili, qui est la tenancière du bar tabac, qui est singulière. La vieille, cette magnétiseuse, rebouteuse, qui porte un peu ce monde rural et le monde sur ses épaules. Oui, je pense qu'il y a quand même un fil rouge féministe dans mes ouvrages, dans celui-là aussi en particulier.

François-Xavier ROBERT
Oui, ça me fait penser parce qu'on parlait de Jean-Baptiste Maudet, qui est le lauréat de la précédente édition du prix. On le félicite. Encore bravo, pour son roman « Tropicale Tristesse ». Lui m'expliquait qu'il avait eu besoin que son héroïne soit une femme. Il avait eu besoin que ce soit une femme pour justement se décentrer. Parce que quand il parlait au « je », quand il imaginait que c'était un homme, il se voyait trop dans le roman. C'est pour ça aussi ma question. C'est tout à fait différent, mais vous préférez faire vivre des héroïnes féminines ? Vous vous sentez plus à l'aise ou peu importe ? Vous pourriez tout à fait faire parler un bonhomme.

Adeline FLEURY
Oui, je pense que là, il y a plus de femmes qui portent « Le Ciel en sa Fureur », mais il y a quelques personnages masculins, dont Guillaume Battu, le reporter, qui serait peut-être plus un alter ego de moi de par sa profession, sa fonction. Lui, a grandi dans ce village, il est parti à la grande ville un peu plus au nord, exercer son métier de journaliste. Et je pense que j’ai une propension à plus me glisser dans des personnages féminins, mais je ne me ferme pas la porte pour d'autres textes. 

On peut écrire à la première personne en se mettant dans la peau de quelqu'un d'autre. Je l'ai fait sur un roman, pas celui d'avant, mais celui d'avant-avant, où je me mettais dans la tête d'une femme qui avait commis un infanticide. C'est un peu étrange. Mais je crois que maintenant, je n’ai envie d'écrire qu'à la troisième personne, en fait, et avoir plutôt un regard surplombant, au-dessus, qui surplombe mes personnages comme un narrateur un peu omniscient qui sait tout sur les travers de mes personnages. Dans le prochain que je suis en train d'écrire, il y a ça aussi.

Et il y a aussi des hommes, donc je peux me glisser dans la psychologie masculine. Ouais, c'est non-genré, quand même, je pense.

François-Xavier ROBERT
Oui, tout à fait. En plus, j'ai parlé d'héroïne, mais il est vrai que dans Le Ciel en sa Fureur, il y a beaucoup de personnages. Il y a des personnages féminins qu'on a déjà mentionnés, qu'on retrouve et qu'on suit, mais il y en a beaucoup d'autres. C'est ça qui est intéressant. Vous avez aussi mentionné le terroir. Je crois qu'il s'agit du terroir normand. Et ce n'est pas la première fois que vos aventures, vos romans s’y déroulent.

Adeline FLEURY
Il y a eu un début dans mon premier roman, Je Tu Elle, où le début, c'est un personnage féminin qui se remet d'une passion amoureuse, destructrice, et elle va chez elle dans la baie du Mont Saint-Michel. Elle va pêcher la palourde. Elle gratte sous la vase pendant des heures à s’en faire des cloques sur les doigts. C'est un retour à la mer, M-E-R, et à la mère, M-È-R-E, à sa matrice, disons, là où elle a grandi. Il y avait déjà la Normandie mais c'était un roman très urbain par ailleurs. Mais c'est quelques chapitres inauguraux qui se déroulent dans ce territoire-là, des histoires un petit peu de sorcières aussi qui viennent s'occuper d'elle avec des potions. Et j'ai complètement prolongé ça dans « Le Ciel en sa fureur », qui se passe dans le Cotentin, donc un tout petit peu plus haut que la baie du Mont-Saint-Michel, quand on va plus vers le nord, vers la pointe de la Hague. Et moi, j'ai grandi dans cette géographie-là et c'est un territoire qui était enfoui en moi. J'avais envie d'écrire dessus. Je ne savais pas trop par quel bout prendre ce personnage-là, parce que c'est le personnage à part entière du ciel en sa fureur.

Adeline FLEURY
C'est une terre qui est particulière parce qu'elle est balayée par les embruns. Il y a la mer à côté, il y a des marécages, il y a la campagne, il y a les agriculteurs de la mer, les pêcheurs, les agriculteurs de la terre, les éleveurs. Et tout ça, c'est nimbé de contes et légendes ancestrales que j'ai voulu revisiter et ça a donné le point de départ à ce texte.

François-Xavier ROBERT
Et alors, ça fait un peu peur quand même, la campagne.

Adeline FLEURY
Oui, là, ce n'est pas le retour à la terre de bobos parisiens qui vont d'un coup se prendre de passion pour la ruralité. Non, non, c'est une ruralité rude, rugueuse, poisseuse, violente. Et oui, le texte, il y a de la violence quand même dès le début. Je parle d'animaux mutilés, de cadavres de chevaux. Ça, je me suis aussi inspirée de faits divers. Et les relations entre ces ruraux, ils sont très taiseux, ils s'observent, ils ne se mélangent pas avec ceux d'à côté, ceux qui vivent dans le lotissement.

François-Xavier ROBERT
Oui, ça, c'est vraiment le conflit.

Adeline FLEURY
C'est du lotissement, c'est deux mondes qui ne se mêlent pas. Et il y a mes héroïnes qui arrivent de l'extérieur, elles doivent faire des preuves, leurs preuves pour être intégrées. Et oui, c'est un terroir, un territoire qui fait peur et propice à un texte qui flirte avec le fantastique et le surnaturel. Et le thriller, un peu, ce n'est pas un polard, ça ne coche pas toutes les cases et les codes du thriller, mais il y a quand même une intrigue Il y a quelque chose d'angoissant. J'ai beaucoup travaillé sur l'angoisse. Certes, il y a la mer, l'horizon, mais ce sont des lieux clos, la maison où la grande Stéphane vit. Ce sont des choses étranges et malgré tout, elle est happée par cette demeure. Les murs parlent... C'est un petit peu à la Stephen King, à mon humble niveau. Mais j'ai vraiment travaillé sur le suspense, l'atmosphère pesante. Et c'est vraiment lié à ce terroir-là.

François-Xavier ROBERT
Oui, la nature est inquiétante. Et les enfants aussi. Les enfants sont... Ceux que vous décrivez, là, ils sont un peu inquiétants.

Adeline FLEURY
Oui, ça passe beaucoup par des personnages d'enfants dont une petite fille qui grandit dans le lotissement. La fille du pavillon numéro 13, en plus, ça porte une malédiction. Elle est cruelle, c'est la chef des enfants de ceux du lotissement. Le lien va être fait avec l'autre clan, ceux du village, via un enfant étrange, qui est un enfant fée. J'ai revisité une légende locale, on en parlera peut-être après. Tout le monde l'appelle l'enfant fée, il est bizarre, il est à la marge, il ne se mélange pas avec les autres. Il préfère la vie minuscule, être aux prises avec la nature, les insectes, les orvets, tout ce qui grouille. Et je ne vais pas dire pourquoi, mais il va être attiré par cette gamine et ils vont s'allier et en même temps se délier. Et une malédiction va frapper le lotissement via ce gamin-là. Donc ça, ce sont ces enfants cruels, étranges. Et si on se plonge dans le passé des personnages, tous ont été liés par un secret enfoui lié à l'enfance. Ils ont été témoins de quelque chose et ils vont se taire pendant des années. Et un enfant maltraité va revenir des années plus tard sous une autre forme, un géant, assoiffé de vengeance.

Adeline FLEURY
Donc oui, c'est l'enfance malmenée, l'enfance qu'on enferme et qui porte une vengeance. Ils ne sont pas doux, ce ne sont pas des têtes blondes, gentilles et bienveillantes. Mais je convoque en chacun de mes personnages la part d'enfant en eux. Et surtout, j'interroge la part de monstruosité et d'humanité. Ce ne sont pas des personnages manichéens, ce n'est pas tout blanc, tout noir. Ils sont Tous, ils portent en eux une certaine monstruosité et ça m'obsède, ça. Qu'est-ce qui fait qu'on bascule à un moment, que le monstre prend plus le pas sur l'humain ? C'est ce que j'ai envie de travailler, de roman en roman, à partir de celui-là, on va dire.

François-Xavier ROBERT
Vous avez aussi dit le mot fait divers. Effectivement, ça vous nourrit beaucoup dans vos inspirations.

Adeline FLEURY
Oui, là, dans celui-là, dans Le Ciel en sa fureur, il y avait ce fait divers des chevaux mutilés.

François-Xavier ROBERT
C'est marrant parce qu'en le lisant, je me suis dit : Mais c'est quelque chose.

Adeline FLEURY
Oui, sans le développer vraiment, mais ça m'avait interpellé en 2021, peu après le Covid, ces cadavres de chevaux qu'on a trouvés un peu partout en France, avec un effet amplificateur des réseaux sociaux. On a eu l'impression qu'il y avait comme une conspiration, comme une secte, je ne sais pas, satanique. Et en fait, on n'a pas tout su du dénouement, mais il y avait une jeune femme, une jeune éleveuse qui avait mutilé ces animaux pour avoir des assurances, des indemnités de la part des assurances. Et moi, quand j'étais enfant, il y avait des histoires comme ça en Normandie d'animaux, pas que des chevaux, des cadavres de vaches aussi, jamais vraiment élucidées. 

Est-ce que c’étaient des éleveurs, des écuries concurrentielles entre eux ? Et tout ça, ça m'a donné envie d'en faire un fil, pas un fil rouge, mais quelque chose qui fait que le journaliste reviendrait au village, qui déclenche l'action. Ce n'est pas le fil narratif principal, mais c'est ce qui a déclenché mon acte d'écriture à moi. Et c'est un fil de thriller. Il y a une enquête, Il vient enquêter sur ces animaux mutilés dans mon livre. Ce sont des poules, une vache qui a un pis sectionné…

Et alors, je le dis, je ne suis pas pour la souffrance animale parce que j'ai eu des lecteurs qui m’ont interpellé lors de rencontres… Certes, je n'épargne rien, mais ce n'est pas le propos. 

Et donc je leur rétorquais : Mais vous lisez des polars ? Oui, oui, j'adore ça. Et donc, les hommes, les enfants qu’on trucide, les femmes qu'on viole, ça va ? Ce n'est pas pareil, c'est de la fiction. Et bien là aussi, c'est de la fiction !

Les faits divers, c'est ma source d'inspiration. Dans le livre dont je vous parlais avant, Ida N'existe pas, que j'avais publié en 2020, je m'étais inspirée du fait divers de Berck-sur-Mer. Une femme qui avait abandonné son bébé sur la plage. Et d'ailleurs, Alice Diop en a fait un film en même temps que mon roman Saint-Omer, elle a suivi le procès de cette femme. Et c'est marrant comment un même fait divers peut donner deux œuvres totalement différentes. Et oui, je lis beaucoup la presse de par mon métier, j'ai couvert beaucoup de faits divers.

Ce n'est pas le fait divers sensationnaliste qui m'intéresse, c'est ce que ça dit de la société. Et après, quand on le prolonge, ça a un pouvoir romanesque assez jubilatoire, il faut l'avouer.

François-Xavier ROBERT
Oui, ça nourrit en plus l'étrangeté, effectivement, de cette campagne du Ciel en sa fureur. Ce que j'ai bien aimé, c'est qu’on sent que vous n'y croyez pas tout à fait, à tous ces contes et légendes, mais quand même, on est bien dedans. Parfois, on ne sait pas si on est dans un conte ou si on est dans une réalité plus prosaïque.

Adeline FLEURY
Oui, c'est ça. C'est un conte noir, j'aime bien le définir comme ça, mais ancré dans le réel. Et vraiment, ce serait un peu, on aime bien dire, du réalisme magique à la française. On n'est pas tout à fait dans du Jorge Luis Borges, l’écrivain latino-américain mais un peu quand même.

François-Xavier ROBERT
Les rêves sont des cauchemars.

Adeline FLEURY
Oui, les rêves sont des cauchemars. Et on flirte avec le surnaturel. Et je suis allée chercher dans ces légendes. Je n'avais pas envie de les plaquer comme ça, faire un copier-coller et juste de les raconter. Non, je suis allé chercher des légendes à chaque fois qui éclairaient la modernité, qui éclairaient la monstruosité et qui aussi aidaient certains personnages à mieux accepter le drame. Cette vieille qui a perdu son enfant préfère se dire, s'accrocher à la légende de l'enfant fée et se dire que son enfant est devenue une fée plutôt que de se confronter à cette disparition, à ce deui qu'elle n'arrive pas à faire. Et pour le lecteur, je crois que ça fonctionne, qu'il soit tout le temps sur le fil entre : Est-ce que c'est réel ou pas ? Et moi-même, quand je l'écrivais, c'était ça, qu'à la fin de chaque chapitre, il y ait une clé féérique et une clé réaliste. Et je crois que ça fonctionne.

François-Xavier ROBERT
Oui, et d'ailleurs dans la forme, c'est vrai que chaque chapitre se termine par un chapitre plus court et en italique. Alors, qu'est-ce que c'est que ce chapitre en italique ?

Adeline FLEURY
Cette voix, cette narration qui est venue s'ajouter en cours d'écriture, ce n'était pas du tout dans ma première version, parce qu'il y a quand même un jeu de puzzle dans ce texte, dans la structure. Et j'ai éprouvé le besoin d'ajouter cette voix en italique pour ajouter une dose de suspense aussi, de menaces, parce qu'on sent que c'est un personnage qui est là, qui observe, mais on ne sait pas trop d'abord qui c'est. Et une autre forme d'écriture un peu plus poétique, mystérieuse. Intrigante. Oui, intrigante. Et je pense que ça fonctionne. On peut lire peut-être... Je ne l'ai jamais fait de lire ces passages déconnectés du reste pour voir ce que ça peut donner et apporter à l'intrigue. Et après, ce personnage, il l'est aussi dans la partie narration plus classique et il prend de l'ampleur. Mais voilà, il y avait ça. Deux volontés de ma part. Un côté plus du suspense ou presque si c'était une série télé ou un film, un personnage qui observe, on sentirait un bruit des feuilles. Quand la grande Stéphane se baigne, elle se sent observée. C'est tout ça.

J'avais besoin de ce surplomb, qui est un peu mystérieux, et puis de la poésie. Et je me suis bien amusée à écrire ces passages-là. Oui, ça doit être... Un peu étrange.

François-Xavier ROBERT
Il y a un personnage dont on n'en a pas parlé, que j'aime bien. Après, on laissera découvrir au lecteur tous les autres personnages, mais c'est la vieille guérisseuse.

Adeline FLEURY
Là, je me suis inspirée de quelque chose que j'ai vécu moi-même. Cette vieille, elle existe, mais j'ai forcé le trait. Je suis allée voir une rebouteuse près de chez moi, en Normandie, pour un problème de peau. Et une amie de ma mère m'avait dit : Il y a la coupeuse de feu. Tu la payes ou tu ne la payes pas, tu lui donnes ce que tu veux. Et je débarque dans cette maison. Et en effet, il y avait des mouches, comme dans le premier chapitre du Ciel en sa fureur. Et une odeur de chien mouillé, quelque chose d'un peu puissant. Et j'ai vécu ce moment où elle me passait sa main au-dessus sans me toucher, et un linge humide. Et j'ai ressenti de la chaleur vraiment très... C'est puissant. Et des jours et des semaines après, j'ai l'impression qu'elle avait pris quelque chose de mon énergie et j'ai éprouvé le besoin de coucher cette scène sur papier. Et au lieu de l'écrire à la première personne, la grande Stéphane m'est tombée dessus. Vraiment, ce personnage livré complètement fictif, inspiré de personne que je connaisse. Elle m'est arrivée comme ça, la grande Stéphane, elle vient de la ville, elle vient au village pour être maréchale ferrante.

Et j'ai créé cette scène de Stéphane qui va voir cette rebouteuse.

La grande Stéphane, qui est très terre à terre, va être complètement bouleversée par cette expérience. Donc, la vieille, oui. Ce sont les deux personnages qui étaient là dès le début de l'écriture de ce texte. Oui, c'est marrant. Oui, les autres se sont ajoutés assez vite.

La vieille est porteuse de toutes ces traditions orales, ces contes et légendes qu'elle raconte, qu'elle se raconte. Et elle est un peu l'ultra-sachante, on peut dire, vieille sage que tout le monde vient consulter, pas que pour des mots physiques, mais aussi psychologiques. Et oui, je la visualise comme un petit bout de femme. Elle n'est pas si vieille que ça. Elle s'appelle la vieille parce qu'elle a épousé le vieux, qui était plus vieux qu'elle, qui était l'ancien vétérinaire historique de ce village. Et Julia vient remplacer ce vieux. Mais j'aime beaucoup ce personnage. Ça me fait plaisir que la vieille vous ait interpellé.

François-Xavier ROBERT
C'est amusant parce que ce matin, j'entendais parler de choses qui fonctionnent en Afrique avec des vieilles femmes à qui l’on fait appel pour justement aider les gens, d'un point de vue plus psychologique, parce qu'on part du principe qu'elles sont très inscrites dans leur communauté, qu'elles sont porteuses d'une sagesse, la sagesse du group, et qu'elles ont de l’empathie. Ça m'a fait penser, parce que je savais que j'allais vous voir. Ça m'a fait penser à la vieille.

Adeline FLEURY
Oui, et dans plusieurs (Là, vous parlez de l'Afrique) civilisations, en Amérique du sud… il y a aussi les chamans, il y a des sorcières. Il y a le vaudou et ce sont les femmes qui portent ça. Et au-delà des croyances, l'empathie dont vous parle. Je pense que les vieilles femmes ont vécu tellement de choses et dans leur chair et en étant mère, en étant grand-mère, en étant amie, conseillère, tout ça. J'ai l'impression que les femmes, (c'est ultra féministe que je veux dire) portent le monde quelque part. On met au monde et on transmet. D'une autre façon que les hommes. Ils se joue dans la féminité autre chose que dans la virilité, d'autres valeurs aussi. Ces valeurs féminines passent aussi auprès des hommes de plus en plus l'empathie, l'écoute, la bienveillance, la tendresse.

Alors moi, je lisais une interview, on ne va pas faire de politique, mais de Ruffin dans Le Monde. Ça m'a interpellé, Ruffin qui est quand même quelqu'un qui a une parole assez militante, etc, et qui dit qu'il faut redonner de la tendresse aux Français. J'en avais presque les larmes aux yeux. Et je me dis que ça passe des valeurs de féminité, de féminisme qui infusent dans le discours politique masculin très viril et venant d'un homme politique un peu militant, véhément d'habitude dans sa façon de parler, ça m'a bouleversé.
On s'éloigne du sujet, mais bon.

François-Xavier ROBERT
On fait un pas de côté. Comme on veut, de toute façon, que les lecteurs lisent le livre et découvrent. On ne Je ne pourrais pas en dire plus. Je vais revenir sur quelque chose que vous m'avez dit que, effectivement, il y a une structure. Quand on le lit, c'est très fluide, mais vous avez dit que la structure, vous l'avez peut-être un peu mâchée, retravaillée. Oui, ça, c'est intéressant dans le processus d'écriture. Vous revenez combien de fois sur le texte ? Comment ça fonctionne chez vous ? Il y a un jet et du retravail ?

Adeline FLEURY
Il y a un premier jet, j'allais dire, assez facile, qui sort spontanément de manière fluide, un peu comme... Où je déverse. Il y avait beaucoup plus de personnages aussi, j'en ai sacrifié. Et l'histoire, elle sort comme ça, comme un jet, un cri pendant plusieurs semaines quand même, ce n'est pas en trois jours. Et puis, je ne fais pas que ça. Mais il y a ce premier jet que je mets une bonne année à... Ouais, entre neuf mois, disons, à travailler dessus à un an. Là, c'était un peu particulier parce que j'ai changé d'éditeur. Je suis passée par un agent littéraire qui a fait tourner ce premier jet-là, mais qui était déjà une version 27 pour ma part. Un premier jet qui sort facilement, mais que je retravaille. Là, je m'arrête un peu, pause. Le texte est mis en circulation et il y a des intérêts de diverses maisons. Et ça matche avec les éditions de l'Observatoire, parce que les deux éditrices, Dana Burlac et Flandrine Raab, me disent : On adore, mais c'est un peu foutraque, ça part dans tous les sens. Il y en a trop. Par moments, on a l'impression que tu es dépassée par tes personnages.

Ces deux éditrices qui m'appellent à canaliser un petit peu ce premier jet. Ça partait dans tous les sens. Et surtout, elles me disent d'assumer le côté réaliste et magique à la fois. Et les autres éditeurs que j'avais rencontrés, c'était plus : Il faut choisir. Il faut que tu tranches, voire même un éditeur qui voulait en faire un polard et gommer ce côté... Oui, c'est dommage. Voilà. Mais donc, je pense avoir rencontré les bonnes personnes au bon moment. Et à partir de là, elles m'ont donné des pistes de retravaille et Évidemment, je suis l'autrice, c'est mon livre, je suis ou pas, mais c'était très éclairant et je suis repartie en réécriture, en pensant vraiment plus au lecteur cette fois, travailler ce fil narratif. Vous dites que c'est fluide, mais j'ai reconstruit l'ordre des chapitres et ça implique des ajustements à l'intérieur même des chapitres. J'ai rajouté cette voix en italique. Des personnages ont disparu, d'autres ont apparu comme cette petite fille dont je parlais au début, parce que le lotissement, je n'en faisais rien. C'était une scène comme ça qui n'était même pas au début, alors que là, c'est la scène inaugurale, cette pluie de crapauds dans ce lotissement.

Je ne divulgue rien parce que c'est dès le début. Et il n'y avait pas de lien entre la ruralité et le lotissement, et c'est passé par ces enfants. Et donc, la dimension des enfants a pris plus ampleur. Et il y a eu aussi le choix du titre qui n'était pas du tout ce titre-là au départ, qui est arrivé tardivement, donc en juin.

François-Xavier ROBERT
C'était ma question parce que je voulais savoir le genre de titre.

Adeline FLEURY
Il y a un an, en gros, juste avant mon dernier retravail, parce que je leur avais relivré en mai un texte retravaillé. Et là, on est parti dans ce qu'on appelle le travail éditorial. C'est plus du ligne à ligne, de la dentelle. Et là, on trouve un titre : Le ciel en sa fureur, que j'ai emprunté à Jean de La Fontaine. Pas à rebond, parce que j'avais dans ma tête : Aux animaux la guerre de Nicolas Mathieu, qui m'obsédait. Et ça collait très bien aussi, mais c'était déjà pris. Et donc, j'ai été revoir dans la fable Les animaux malades de la peste, d'où Nicolas Mathieu a tiré l’extrait : Aux animaux la guerre. C'est juste deux lignes, deux verres au-dessus. Mal que le ciel en sa fureur, répand. Et donc, ce titre-là a redonné encore une dernière intention au texte. Et là, j'ai encore plus assumé le côté la malédiction qui plane, le surnaturel. C'est un texte qui a eu plusieurs étapes dans l'écriture et que j'ai bossé. Visiblement. Je me suis vraiment prise la tête par moments, mais c'était un bonheur de faire ce travail-là, se poser mille et une questions jusqu'au presque au BAT, quand on envoie un imprimeur.

François-Xavier ROBERT
Donc, tout ce travail-là, c'est terminé, on va dire en juin, juillet 2023 ?

Adeline FLEURY
Oui, ça Oui, c'est ça. Je rends la V2 qui est déjà énormément retravaillée au mois de mai et j'ai l'été 2023 pour peaufiner encore. Et oui, c'est parti à l'imprimerie à l'automne, en septembre. Mais c'est un long processus. Je n'avais jamais connu ça, travailler à ce point un texte et je vois la différence. Mais en fait, je vois que je passe un cap dans l'écriture et il n'y a pas de... Oui, il n'y a pas de hasard à ça. Même quand on a des facilités d'écriture, c'est tout le temps se poser des questions de narration, de ces personnages-là, comment ils sont liés les uns aux autres. Rien ne doit être gratuit. Il y a même des scènes, on parlait de la grande Stéphane qui se baigne. Au départ, mon éditrice me disait : Telle qu'elle était dans la première version, elle était juste belle, esthétique, et elle ne servait à rien. Donc, soit tu la gardes, mais tu m'apportes autre chose, soit malheureusement, on la supprime. Et je ne voulais pas la supprimer parce qu'elle est forte et j'ai réintégré. Je l'ai mieux travaillée avec cette présence qui... On On sent qu'elle est observée, elle a peur, elle n'est pas à l'aise.

 


Adeline FLEURY

Et j'ai voulu que le lecteur aussi soit avec elle dans cette scène de baignade, qu’il sente les poissons, les macros qui la frôlent. On se demande d'où vient la menace, si c'est de la mer, du ciel ou d'ailleurs, d'un être humain. Et ça, ce sont des questions comme ça. Maintenant, quand j'écris, je me dis : OK, là, je me suis fait plaisir, c'est beau, c'est esthétique, c'est bien écrit, c'est visuel, mais qu'est-ce que ça apporte à la narration ? Et ça, ce sont des questions que je ne me posais absolument pas avant. Comme quoi, on progresse de livre en livre.

François-Xavier ROBERT
Vous avez mentionné tout à l'heure Stephen King aussi. Est-ce que ce serait une des sources d'inspiration au sens large ?

Adeline FLEURY
Pas direct. C'est en cours d'écriture que, justement, je me suis dit, pour travailler sur le suspense, chez qui on va voir ? On va voir chez Stephen King. J'aime beaucoup aussi cette autrice, Laura Kasischke, notamment ce livre, Les Revenants, avec un peu de surnaturel, mais dans quelque chose de très réaliste aussi, avec des rites un peu sataniques, un cadavre d'étudiante sur un campus américain, c'est la société américaine et tous ces travers. Et ce sont des influences comme ça, américaines, qui m'ont porté en cours d'écriture. Et alors plus en amont, c'est Jules Barbey d'Aurevilly, parce que c'est cette littérature normande, étrange, des marécages. George Sand aussi La Mare au diable, Maupassant, Le Horla, ces influences-là. 

Et des autrices plus italiennes, Anna Maria Ortese et Goliarda Sapienza. C'est très indirect par rapport à cette géographie-là, mais dans la manière de décrire le réel et d'apporter une touche d'étrangeté. C'est toutes ces influences-là qui me nourrissent.

François-Xavier ROBERT
D'accord, c'est riche.
Goliarda Sapienza, donc vous aimez bien son œuvre ?

Adeline FLEURY
Oui, et encore plus parce que je travaille sur un texte qui se passe en Italie, là, sans en dire plus. Et j'ai ça, j'ai cette influence-là. Elle et Elsa Morante aussi. Je cite des autrices et pas des auteurs.

François-Xavier ROBERT
Pas des moindres. C'est bien, place aux femmes.

Adeline FLEURY
Oui, on a beaucoup parlé des auteurs masculins pendant des siècles.

François-Xavier ROBERT
Oui, c'est vrai que je rebondissais. Goliarda Sapienza, L'art de la joie, pour moi, c'est vraiment un chef-d'œuvre absolu.

Adeline FLEURY
C'est un électrochoc littéral. C'est pour ça.

François-Xavier ROBERT
Si vous ne l'avez pas lu, allez-y, profitez-en aussi.

Adeline FLEURY
Moi, il est sur ma table, pas de chevet, mais sur mon bureau.

C'est étonnant comme livre parce qu'on rentre là-dedans un peu bousculé, ça ne ressemble à rien d'autre. Les gens qui ont du mal à rentrer, non, il faut le début, il faut y aller, il faut la suivre, cette gamine qui va prendre envol... Elle est à la fois puissante, elle peut être cruelle, c'est la femme sous tous ses aspects. Et je n’ai jamais vu un autre personnage comme ça dans la littérature. Oui, allez-y, aveuglément.

François-Xavier ROBERT
On a déjà donné pas mal de conseils de lecture, mais si vous deviez donner des conseils à des nouveaux écrivains…


Adeline FLEURY
Oui, en plus, j'anime pas mal d'ateliers d'écriture, donc forcément, je travaille à partir de textes et Il y a cette question qui revient : Et toi, tu lis quoi ? Qu'est-ce que tu nous donnes ? 

Ça revient souvent L'art de la joie. J'aime beaucoup aussi Le mur invisible de Marlen HAUSHOFER. C'est une femme qui va dans une maison de campagne chez des amis et ses hôtes vont faire les courses et ne reviennent pas. Et en fait, elle se retrouve face à un mur invisible. Le monde est figé autour, il y a eu une catastrophe et elle est la dernière survivante avec ses animaux. C'est autrichien et c'est assez extraordinaire. Moi, j'aime l'écriture sensorielle en prise avec la nature. Il y a ça, il y a le surnaturel, il y a le côté pesant. Donc, je donne souvent cet exemple pour s'inspirer. En littérature française, j'aime beaucoup Histoire de la nuit de Laurent Mauvignier. Ça m'a influencé aussi pendant l'écriture du Ciel en sa fureur.

Alors lui, moi, ce que je fais en 220 pages, il le fait en 600 pages. Ce sont des phrases à rallonges, c'est tout l'inverse de moi, mais avec une tension de thriller, et c'est de la littérature blanche. Et pour le rythme des phrases, pour la psychologie des personnages, moi, je vous invite à lire. C'est aux éditions de Minuit. L'histoire de la nuit, c'est formidable. 

Ce sont des influences comme ça. Je suis passée par ma phase Marguerite Duras, Anaïs Nin, des figures féminines, Colette aussi, un peu Annie Ernaux, moins maintenant, mais ses premiers textes sur le corps, justement, et l'articulation du corps féminin avec la société, le social, tout ça, quand on a envie de se mettre à écrire... Après, là, j'ai envie de relire des Alexandre Dumas parce que j'ai vu au cinéma Le Conte de Monte-Cristo et je me suis dit: Ouais, quand même. Oui, ça, c'est génial. Voilà, là, on est... C'est plutôt de la littérature virile quand même, Dumas, mais c'est extraordinaire de ressorts narratifs, de réflexions aussi sur la vengeance sur le souffle romanesque. L'envie de romanesque, c'est retourner à Dumas. Et pour les apprentis auteurs qui ont du mal à développer, étoffer leur écriture, retourner dans ces classiques-là, c'est extraordinaire.

Ça nourrit tout ça.

François-Xavier ROBERT
On a tout un tas de conseils pour l'été.


Adeline FLEURY
Oui, ça ne fait pas me peur. Lisez cet été en résumé.

François-Xavier ROBERT
Et actuellement, vous travaillez un autre roman ? Vous n'êtes pas obligée de nous dévoiler.

Adeline FLEURY
Non, mais c'est un roman que j'ai vite commencé pendant la promotion du ciel en sa fureur dans des trains, tout ça, je l'avais documenté avant, donc il n'y avait plus qu'à écrire. Mais là, je suis un peu bloquée à une centaine de pages, c'est déjà pas mal. Et cet été, je vais me consacrer qu'à ça, à faire un bond en avant dans l'écriture, parce que ce temps estival déconnecté, dépouillé du reste. Moi, je continue le journaliste de manière indépendante. J'écris les livres des autres, je fais du ghost writing et c'est très chronophage, tout ça avec cette tournée du ciel dans sa fureur qui continue et je suis contente après l'été. Donc là, j'ai cette pause estivale pour retourner à ma table d'écriture, mais pas à Paris, ailleurs, entre la Normandie et un peu le Maroc, où je vais aller au bord de la mer. Et le roman sera là avec moi. Ça se passe en Italie. Il y a des personnages féminins singuliers, il y a du surnaturel. Ce n'est pas le le ciel en sa fureur en italien, mais cette atmosphère un peu étrange avec beaucoup de personnages. Je crois que je m'épanouis là-dedans.

 

Adeline FLEURY
Et normalement, si tout va bien, en 2026, il devrait être en librairie. Et le Ciel en sa fureur sera en poche en janvier.


François-Xavier ROBERT
Dès 2025 ? Oui.

 

Adeline FLEURY

Voilà, chez J'ai lu. 

François-Xavier ROBERT
Donc, nous invitons toutes nos auditrices et nos auditeurs à lire Le Ciel en safureur, qui est pour le moment aux Éditions 2 de l'Observatoire. Si vous voulez attendre l'édition poche, c'est J'ai lu. 

Adeline FLEURY
Après, vous pouvez choisir les deux. Le petit format ne tue pas le grand format.

François-Xavier ROBERT

Je vous remercie beaucoup, Adeline Fleury.


Adeline FLEURY
À vous.

 

François-Xavier ROBERT

À bientôt.